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septembre 2017 | Le Matricule des Anges n°186 | par Christine Plantec

D’une rencontre insolite, Tout un monde lointain de Célia Houdart tisse un roman subtilement sensuel et envoûtant.

Tout un monde lointain

Cinquième opus d’un parcours sans fausse note, Tout un monde lointain est de ces livres qui comptent alors même que, de prime abord, ni l’intrigue ni l’écriture ne retiennent l’attention. Point de spectaculaire ni de grandiloquence. Ici encore, on retrouve chez Célia Houdart cette élégance où la fluide délicatesse du style s’allie à la permanence d’une tension comme le serait l’observation appliquée et inquiète d’un fil sur le point de se rompre.
Un mystérieux prologue rend compte d’une scène de jeu entre une enfant de 2 ans à peine et un homme à Ascona (Suisse) en 1918. Fondu au blanc (de la page) et le récit s’ouvre sur une séquence de nuit où Gréco, une septuagénaire au volant d’une Mercedes décide de s’arrêter en plein milieu de la chaussée pour contempler la manière dont la presque pleine lune redessine le paysage d’un bord de mer familier. Ce geste, plutôt transgressif, est loin d’être anodin. Au seuil du livre, c’est comme s’il plaçait l’ensemble du texte dans le tempo d’une dialectique simple dont la lumière et l’obscurité, la réminiscence et l’oubli, le permis et l’interdit seraient la mesure.
Gréco vit sur la Côte d’Azur. Décoratrice de renom – « ensemblière » précise-t-elle –, elle convoite depuis plusieurs années une villa avoisinante qu’elle contemple rituellement. Or la Villa E-1027 est celle que les architectes et amants Eileen Gray et Jean Badovici ont construite et habitée à la fin des années 20 avant que, un demi-siècle plus tard, des complications juridiques ne mettent le lieu sous scellés. Gréco a toujours admiré le travail d’Eileen Gray et elle est prête à vendre une partie de ses biens pour accéder à son désir de vivre dans la villa moderniste. Tout le premier mouvement du roman tend vers cette perspective : par touches impressionnistes, on y découvre une femme dont le quotidien est moins ponctué de socialité que de moments solitaires lors desquels le personnage est le réceptacle de « myriades d’impressions » (Virginia Woolf) qui peu à peu colonisent l’espace fictionnel et lui confère une densité étonnante. On pourrait presque qualifier de sereine la vie de cette esthète contemplative si Gréco n’était régulièrement ramenée vers « les profondeurs de sa mémoire inquiète ».
Tout un monde lointain bascule dans un second mouvement lorsque la décoratrice fait la rencontre des deux squatteurs de la Villa E-1027, un couple de danseurs d’une vingtaine d’années. Louison et Tessa sont jeunes autant que Gréco a un âge déclinant, ils sont gourmands de la vie autant qu’elle est frugale, ils sont étudiants sans le sou autant qu’elle vit bourgeoisement et néanmoins ce trio-là va immédiatement s’entendre : « Ils étaient tous les trois debout dans le salon. On eût dit une scène de conte, ou une gravure ancienne, fixant le moment solennel où les personnages boivent le philtre ou le poison  ». Puis, ils vont régulièrement se fréquenter : marché du matin, repas, baignade nimbent leur quotidien d’une douceur arcadienne : « Ils furent quelques secondes tous les trois liés par la peau, avec des zones d’indiscernabilité  ». Parfois ils la questionnent. Elle demeure silencieuse. Jusqu’au jour où Louison et Tessa décident de l’aider à trier quelques archives dont elle ne parvient pas à se défaire pas plus qu’elle ne peut y faire face. Dans ses cartons, tout un monde perdu, celui de Monte Verità où Gréco vécut les premières années de sa vie sur les bords du lac Majeur, près d’Ascona. Or si ce lieu magnétise également le couple c’est qu’il fut celui d’une utopie communautaire où se croisèrent Rudolf Steiner, Kandinsky, Hermann Hesse, ainsi que des danseurs et chorégraphes tels qu’Isadora Duncan, Mary Wigman et Rudolf Laban.
Télescopages des temporalités, des motifs, des désirs et des lieux, le livre tisse un réseau délicat de correspondances. Et c’est alors que le titre du roman nous oriente vers le poème La chevelure de Baudelaire auquel l’hémistiche emprunté au poète fait écho. Sans parler de cette réécriture savoureuse d’A une passante qu’incidemment on croise à la terrasse d’un café et qui « fut comme un coup de tonnerre dans le ciel de Gréco  ». Pourtant les symétries et les synesthésies architecturent le texte avec une telle délicatesse qu’il devient impossible d’en identifier les sutures. Un vrai travail d’orfèvre qui fait dire à Gréco, véritable double romanesque de l’auteure, que « ce sont les beaux décors et les aménagements complexes qui m’ont donné le goût des inventions simples  » et dont l’hapax final est le miroitement lumineux et sonore.
Livre achevé, on s’interroge. Des images remontent, déposées au fond du crâne, déliées les unes des autres et néanmoins unies en une spirale d’impressions que le livre ne nomme pas. « Ce n’est presque rien  » pourrait-on dire à l’instar de Louison enlevant « une petite feuille vernissée de citronnier » dans les cheveux de Gréco. « C’était juste cela  » : des particules fines de nacre sur la pulpe des doigts.

Christine Plantec

Tout un monde lointain,
de Célia Houdart
P.O.L, 200 pages, 14

Perpetuum mobile Par Christine Plantec
Le Matricule des Anges n°186 , septembre 2017.
LMDA papier n°186
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