La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Poésie Infatigable enfance

septembre 2017 | Le Matricule des Anges n°186 | par Emmanuel Laugier

La disparition du père, la mère absente, l’enfance revenue tresser un panier de sensations dans la langue, Frédérique de Carvalho les accueille comme autant de blasons anciens suivis pas à pas.

Le motif de l’enfance fabrique l’un des clichés les plus répandus de la poésie. On peut néanmoins légitimement reconnaître comment il put habiter une haute tradition poétique. Des poèmes pour enfant de Mandelstam à son esprit revisité avec insolence chez Prévert ou Michaux, mais aussi revivifié et disséminé chez quelques contemporains, de James Sacré à Éric Sautou, Ariane Dreyfus ou le fameux Marin mon cœur d’Eugène Savitzkaya, les exemples ne manquent pas, jusqu’à être renversé en sorte de pantalonnades chez certains, notamment Christian Prigent. La voie de Frédérique de Carvalho s’apparente plutôt, avec ce nouveau livre Déménager l’enfance, à celle, discrète et pudique, d’Éric Sautou, dans la façon de laisser travailler l’alliage de la mémoire et de l’événement sans les forcer, relâchant plutôt le maillage formel (en apparence) pour que l’un et l’autre se disent, s’agencent ou s’allient. Cette particularité-là, Frédérique de Carvalho la travaille au sein des suites de ses poèmes avec une grande justesse, quand bien même se relâche-t-elle quelque peu, n’évitant pas quelques naïvetés (métonymie et syntaxe parfois trop évidentes). On peut toutefois parier que la façon dont l’esprit de naïveté s’attache à l’enfance comme à sa supposée innocence, fut le risque du projet du livre, ouvert, est-il dit explicitement, par la mort du père (« on est enseveli des tout derniers présents (…) / on se raccroche à quoi qui n’a / jamais coulé / une / à quoi  »), et, concomitamment, par le constat d’une mère distante. Troisième personne après la figure du père, véritable roi dispensant à l’enfance sa propre enfance, la « mère coup de hache à l’oreille du lapin fait son devoir  », elle ne rêve pas avec l’enfant le monde d’Alice… L’enfant, petite reine, constitue avec le père une dyade idéale, que ces trois vers disent sans détour : « c’est un monde à refaire un désastre de joie (…) / on avance à pas nus sur les flots avec des dieux d’enfance des / boucliers des cailloux des / ficelles  ».
Le locuteur du poème n’emploie donc jamais la première personne du singulier, comme s’il était à la lisière tenue de l’infans. Seul le « on » impersonnel semble en mesure d’approcher le sujet parlant. Faisons l’hypothèse que celui-ci n’est pas qu’un détour pudique, voire une volonté de distanciation, mais une façon de réintroduire en lui la pluralité des mondes qu’environne son enfance, à commencer par celle des voix du père, comme celle dite du devoir maternel. Le pronom impersonnel « on », véritable leitmotiv de la narration, déménage ainsi littéralement l’enfance, c’est-à-dire la convoque comme le temps le plus dense de l’existence humaine et monde en soi comprenant le berceau de toute une impersonnalité. C’est qu’à toute enfance remémorée (et a fortiori lorsque le grand âge s’atteint), écrivait John Berger, il est donné une aura que seule la perception du déploiement d’une origine (y compris celle de l’apprentissage du langage) dépose au creux de la mémoire comme son secret.
Déménager l’enfance s’entend moins ainsi comme la fin de celle-ci, que comme le carambolage à nouveau permis de toutes les sensations que son ressouvenir ouvre à son presque infini. Car « l’enfance infatigable / fabrique une légende pour orienter l’espace / où la joie s’est noyée  », tisse « le fil fragmenté, recousu à la hâte peu importe comment  ». « Aporie des / enfances  », aurait écrit Nathalie Sarraute, par quoi « ça fait des aurifères dedans les écritures / ou ça fait rien  », et où « on écrit depuis le noir et jusqu’au gris  » argentique des vieilles photographies. Reste pourtant « les indésirables  », « le lapin écorché de nos / insoutenables  », plus loin « d’autres infigurables qui ont fait / notre nuit  », car le motif de l’enfance, ici écrit et exposé, « est cousu dans l’ourlet qui / borde la / doublure ». L’enfance, crapule ou flibuste, étant « de peu et sans image  », ce qui demeure aussi de son propre désastre.

Emmanuel Laugier

Déménager l’enfance, de Frédérique de Carvalho
Propos 2 éditions, 108 pages, 13

Infatigable enfance Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°186 , septembre 2017.
LMDA papier n°186
6,50 
LMDA PDF n°186
4,00