L’esprit aventureux, Emmanuel Requette, 43 ans, n’aime guère les lignes droites. Au départ, un cursus d’ingénierie commerciale, puis des études de philologie romane. Administrateur de sociétés dans le secteur du BTP et du transport, ce lecteur impénitent quitte le monde des affaires pour en créer une, en 2012, « plus humaine » : la librairie Ptyx, à Bruxelles, « férocement indépendante », dont les portraits géants de Borges, Joyce ou Woolf ornent la façade. « J’avais besoin d’un nouveau défi, et de revenir aussi à quelque chose de plus éthique. » Deux ans plus tard, il lance sa maison d’édition, Vies parallèles. Il prévient : « Les ouvrages édités auront pour point commun de n’en avoir que peu ». Une liberté qui autorise toutes les audaces. Le premier titre, Que faire de ce corps qui tombe, de John D’Agata et Jim Fingal, est un texte étonnant (par sa forme aussi) sur le « fact-checking » et les pouvoirs de la création littéraire. Vies parallèles, soucieuse de prendre la tangente, investit donc plusieurs champs : l’essai, la fiction (comme le troublant Merci, de l’Argentin Pablo Katchadjian), le documentaire, la poésie. Il s’agit peut-être de Parler aux frontières pour reprendre le titre du poète américain David Antin. Ce questionnement, on le retrouve dans Le Maître des miniatures, de Jim Shepard, qui paraît aujourd’hui. Un grand livre, l’air de rien. Où comment le co-créateur du monstre Gojira / Godzilla, dans ce Japon des années 50, confronté à la dissolution de sa vie familiale, revisite la mémoire d’un pays traumatisé.
Emmanuel Requette, les éditions Vies parallèles sont nées après l’ouverture de votre librairie. Faut-il y voir un rapport de cause à effet ?
Je n’avais nullement l’intention d’embrasser une carrière éditoriale. Il se fait qu’un client de la librairie m’a fait découvrir Renaissance noire, le deuxième tome du Bréviaire de Saint-Orphée, de Miklos Szentkuthy dont je connaissais le nom sans l’avoir lu. Subjugué (c’est le moins qu’on puisse dire) par la chose, j’en ai commandé pour la librairie. Après une trentaine de ventes, le livre était épuisé. J’ai alors contacté l’éditeur (Phébus) pour tenter de l’inciter à réimprimer ce titre. Comme il ne donnait pas suite, j’ai alors tenté de convaincre d’autres éditeurs de reprendre le flambeau. Sans succès. Trouvant inadmissible, avec Alexandre Laumonier (l’éditeur de Zones sensibles, lui aussi tombé sous le charme de l’auteur hongrois) qu’une œuvre aussi gigantesque et originale que celle-là ne soit pas éditée, j’ai alors décidé de m’y coller. Si la création de cette maison découle donc de mon activité de libraire, elle n’était nullement préméditée. J’ajoute ici que l’édition – comme la librairie – n’est pas une fin en soi. Ces activités n’ont de valeur pour moi que dans la mesure où elles deviennent des outils pour, en toute modestie mais avec détermination, peser sur le monde qui m’entoure.
Est-il vrai que tous les livres que vous présentez dans la...
