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Histoire littéraire Désoccidentaliser, dit-il

octobre 2017 | Le Matricule des Anges n°187 | par Éric Dussert

Enseignant progressiste, Albert Truphémus donna en un lustre tous les romans où il dévoile la face sombre de la colonisation.

Avec un patronyme faustien que son allure ne dément pas, Albert Truphémus n’était pas le pédagogue moyen : sept livres en l’espace de cinq ans puis plus rien. Albert était un drôle de lapin… Né à Remoulins (Gard), le 17 septembre 1873, il passe sa jeunesse dans ce village puis suit les cours de l’École normale de Nîmes et parvient à l’École normale supérieure de Saint-Cloud. Il y rencontre Louise, une Suisse calviniste et bourgeoise qui devient sa femme avant qu’ils ne partent s’installer à Leipzig où il est lecteur de français à l’université, avant d’enseigner dans les Écoles normales de Mâcon ou d’Avignon (1903-1906). Ce dernier poste le rapproche de sa région, où il prend goût à la navigation maritime et s’amourache d’une ruine qu’il rebâtit. Il obtient en 1908 un poste à Constantine en Algérie. Il est alors inspecteur de l’enseignement indigène.
En Algérie, sa vie va encore évoluer. Dans le désordre : il tombe amoureux d’une jeune professeure, milite pour le parti socialiste, écrit dans Le Travailleur ou La Voix des humbles, et se porte candidat à la députation. Mais s’il est franc-maçon et excellent tribun (on vient le voir haranguer la foule comme on va au spectacle pour ses bons mots et ses piques), il ne deviendra jamais le député Truphémus.
Lassé de la vie pédagogique, il prend sa retraite à 52 ans et se retire à la Pointe-Pescade (aujourd’hui Raïs Hamidou), dans une villa qui surplombe la mer. Il y occupe deux heures par jour le grenier-mirador pour écrire. Le journalisme et la littérature l’occupent, le sort de l’Algérie et des Algériens également. Entre 1930 et 1935 il publie tous ses livres, notamment L’Hôtel du Sersou, texte sensiblement anticolonial qui connaît un certain succès de scandale, Les Khouan du Lion noir, scènes de la vie à Biskra, ou le roman de formation du cireur Kaddour (Lion noir est une marque de cirage), L’Histoire prodigieuse de Master Corkscrew milliardaire américaine, une série de trois « livres gais pour les jeunes de tout âge et des deux sexes ». De ces livres, il ne reste presque rien.
L’absence de réussite politique ou littéraire pèse peut-être sur la vie d’Albert Truphémus – comment le savoir désormais ? En 1944, le débarquement allié en Algérie lui fait cesser ses allers-retours entre sa falaise et Remoulins. On le retrouve avec sa dernière compagne, une autre Jeanne, et il meurt le 27 février 1948 à la Pointe-Pescade. (Le FLN va justement s’y constituer en 1954).
À plusieurs reprises, Truphémus s’est placé dans ses livres sous les traits d’un Mus ou du romancier Bréhat (une anecdote : il attribue à ce dernier un roman intitulé Au pays des sables, titre que l’éditeur René-Louis Doyon, fournira en 1944 à un livre posthume d’Isabelle Eberhardt). Truphémus en profite pour dévoiler le fond de sa pensée : « 1°. En tant qu’homme et romancier, je m’accorde le droit de vivre, c’est-à-dire de voir, de sentir et de construire selon mes moyens personnels. 2°. J’observe, depuis un quart de siècle, que ma vision de l’homme – individuel et social – est en conflit permanent, avec l’image d’Épinal et le chromo que m’en donnent tant d’écrits, tant de discours, tant de morales, tant d’homélies. 3°. Vais-je me taire égoïstement ? 4°. Biskra dont le soleil hâte toutes les corruptions, m’offre la chance de pouvoir étudier sur le vif, maintes saloperies humaines. Vais-je renoncer à cette chance et dessiner, d’une plume d’oie, quelque bête et le tendre jardin d’Allah, comme fit l’Anglais What-is-His-Name ?  » (Il parle de l’Irlandais Oscar Wilde). Le fond du problème est là : « il se trouve que tout ce que j’ai appris, officiellement, est en contradiction flagrante avec ce que j’observe  ».
Et il observe bien. Ses livres portent parfaitement et la violence et les couleurs brutales d’un pays fascinant. Lui-même oscille entre l’enchantement africain et la nuit coloniale. Et si parfois pointe sous sa plume une misogynie qu’on dira d’époque, peut-être, sa façon d’accumuler la documentation, les plans de village ou d’hôtel et les indications d’état civil prouve qu’il souhaite faire jaillir la vérité. Certains trouvèrent du reste ces Khouan un peu didactiques mais c’est aussi un « livre de bonheur », de communion avec la nature, de panthéisme assumé. Un sentiment cosmique y balaye le monde moderne dont les « vertus » ne sont pas si frappantes. Transparaissent l’obscénité sociale et politique, l’esclavage endémique, les « troubles cochonneries » de la pédophilie. Et Gide n’est pas peu concerné. On sent poindre la pique d’Hector France rédigeant Sous le burnous.
Pendant le Centenaire de la colonisation (1930), ce lettré dénonce la construction du mythe de l’épopée algérienne et jusqu’à la recherche de l’exotisme chéri des artistes qui participent selon lui « à la destruction des cultures et des civilisations ». « Depuis quatre siècles, (…) la race blanche s’est ruée férocement sur les races polychromes des autres continents ». Et il ajoute en écho au Triste sort des indigènes musulmans d’Algérie de Jean Mélia : « je me sens plus près d’eux que des braillards de ma race ». Soixante-dix plus tard, ses récits débordent tant de l’odeur du chih’ (thym sauvage) que ce serait bien le chitan qu’ils ne nous attrapent. Foin de l’exotisme, Albert Truphémus, restent la lumière et la chaleur.

Éric Dussert

Désoccidentaliser, dit-il Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°187 , octobre 2017.
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