Enterrement de vie de garçon, championnat de hockey, porte-monnaie volé, correspondance manquée… C’est une succession de hasards qui conduit François-Henri Désérable à Vilnius, devant le n°16 de la rue Grande-Pohulanka. L’image d’un vieux voisin déférent, sensible aux prédictions d’une mère mégalomaniaque, surgit aussitôt : Monsieur Piekielny apparaît, priant l’enfant Roman Kacew de ne jamais oublier, quand il serait célèbre, que « dans la rue de la Grande-Pohulanka, au numéro 16, à Wilno, vivait un certain Monsieur Piekielny ». Phrase dont Romain Gary s’est fait l’écho toute sa vie, prononcée devant les grands de ce monde (Kennedy, De Gaulle, etc.), et que Désérable, depuis son baccalauréat de français, n’a jamais oubliée.
Le récit prend vite la tournure d’une enquête sérieuse. Il s’agit de retracer la vie de cet inconnu anonyme. Photographies d’époque, documents d’archives, correspondances officielles : tout concorde pour faire de cette obsession fantaisiste une recherche scientifique. Cependant, ni Google, ni les registres de domiciles lituaniens ou encore les entretiens avec Roger Grenier (de Gallimard), ne permettent de dessiner un portrait tangible de Piekielny. L’imagination de Désérable bâtit peu à peu une silhouette solitaire, celle d’un barbier fumeur qui à ses heures perdues jouerait de la musique triste, par exemple. « Avec cette mélancolie diffuse qui parfois (l)’étreint et (l)e fait envisager le monde à travers un filtre sépia », l’auteur arpente Vilnius, mêlant allègrement son passé et son présent à celui de son personnage.
Le roman est donc tout à la fois une ébauche de biographie, une fiction historique et une autobiographie intermittente. Ce mélange plein d’humour et de tendresse butte sans cesse sur une figure bien réelle, bien connue : celle de Romain Gary. Et si Monsieur Piekielny n’était qu’un prétexte pour lui rendre un hommage vibrant et reconnaissant ? Car Désérable, sous couvert d’investigation, revient sur le parcours de Gary, sur ses mensonges et ses amours, ses pensées et ses angoisses, en démêlant la vérité de la légende. Le XVe arrondissement de Paris, insupportable, « insipide, sans saveur, aucune âme, et puis si loin de tout qu’il doit y avoir du décalage horaire ». La rencontre avec Kennedy à la Maison Blanche, les cigarillos, les fesses de Jean Seberg. Autant de petites saynètes qui, participant à la vaste enquête centrale, construisent un homme très humain, loin du mythe qu’il s’était créé. L’on suit donc avec plaisir Désé- rable dans sa poursuite du passé, qui convoque la littérature russe, la Seconde Guerre mondiale et les championnats de hockey, et se révèle très agréable à lire.
Camille Cloarec
Un certain M. Piekielny,
de François-Henri Désérable
Gallimard, 272 pages, 19,50 €
Domaine français La promesse de Gary
octobre 2017 | Le Matricule des Anges n°187
| par
Camille Cloarec
Après s’être intéressé à la révolution française et au mathématicien Évariste Galois, François-Henri Désérable s’empare d’un certain Piekielny, personnage clé de La Promesse de l’aube. Drôle et attachant.
Un livre
La promesse de Gary
Par
Camille Cloarec
Le Matricule des Anges n°187
, octobre 2017.