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Égarés, oubliés L’amère expérience

novembre 2017 | Le Matricule des Anges n°188 | par Éric Dussert

Figure majeure de la littérature prolétarienne, Henriette Valet a vécu ce que les hommes préféraient ne pas savoir.

Ce qui frappe d’emblée chez Henriette Valet aurait dû susciter la curiosité si les « choses » étaient mieux « faites », si l’on s’attardait moins sur la gloire des glorieux et la gloriole des faiseurs. Si l’on portait un peu d’attention, une attention sincère, aux créations des femmes qui n’ont pas bénéficié des soutiens de Colette, de la comtesse X, fameuse poétesse, ou de Marguerite Duras, non plus que leurs réseaux, qui n’en ont pas moins œuvré avec cœur, avec intelligence et avec passion et n’en ont pas moins laissé à la postérité des œuvres solides. Le parcours d’Henriette Valet, et ce qui semble être sa détermination, n’auraient jamais dû passer pas inaperçus. Au-delà de son parcours professionnel (elle était journaliste, et travailleuse), au-delà de sa création littéraire (dont vous reconnaîtrez bientôt les mérites), il faut signaler qu’elle a été l’épouse du philosophe marxiste Henri Lefebvre, un homme qu’elle épousa à Paris le 29 septembre 1936 pour en divorcer… le 16 janvier 1980. Elle avait alors 80 ans. Il est rare qu’à cet âge où l’on laisse généralement couler l’eau sous les ponts une telle décision matrimoniale survienne.
Henriette Valet n’est pas remarquable uniquement pour cet inattendu : elle pourrait illustrer ici une autre tristesse que le divorce, qui est parfois un soulagement comme on sait, une tristesse autrement taraudante. On pourrait nommer ça la tragédie du second roman…
Née le 8 juin 1900 à Paris, elle aura vécu sa jeunesse en province dans une famille de tailleurs dont le père est un syndicaliste actif. Avant de rentrer à Paris où elle deviendra téléphoniste dans un central des Postes, Télégraphes et Téléphones, elle subit l’influence d’une sœur aînée qui lit et écrit et se lance elle aussi dans des « livres à thèse ». Ayant rencontré de jeunes intellectuels par hasard, elle se retrouve liée aux révolutionnaires Pierre Morhange, Norbert Guterman et Henri Lefebvre. Elle dirige en particulier avec eux en 1933 Avant-Poste, une revue de littérature et de critique. Le sommaire de ses trois numéros a de quoi faire pâlir : aux côtés d’Alain et de Rafaël Alberti, Henri Calet donnait déjà ses textes avec Céline, Barbusse ou Jean-Richard Bloch… Elle qui s’était engagée dans la rédaction d’un roman s’aperçoit après réflexion qu’elle « en a honte » et le brûle avant de passer au suivant. Celui-ci, elle l’intitule Madame 60 bis et en fait transmettre le manuscrit à Henry Poulaille, alors attaché de presse chez Grasset.
Dans le premier numéro d’Avant-poste, on en trouve un avant-goût : « Naissance à l’hôpital ». Puis sa nouvelle « Téléphoniste » paraît dans la revue d’Henry Poulaille, Prolétariat. C’est une tentative de littérature du quotidien, vécue, veine qui va enthousiasmer. Avec son premier roman imprimé à la fin du printemps 1934, elle partage le récit d’un séjour à la maternité de l’Hôtel-Dieu. Ce premier roman est absolument remarquable de densité et d’énergie. Tout le monde prolétarien s’emballe, à commencer par Neel Doff elle-même. Le tableau est sans fausse pudeur : « Le brancard est glissé entre les lits 60 et 61. Je suis maintenant madame 60 bis, j’ai un nom. Je me couche, le toit fortement incliné est à portée de ma main. L’air est épais. Des odeurs de pharmacie, de sueur, de parfums bon marché stagnent au-dessus des têtes en nappes immobiles. »
Encasernement, cruautés partagées, grossièretés des unes (parturientes), brutalité des autres (médecins et infirmières), niaiserie, cynisme, mesquinerie, Henriette Valet nous plonge dans un enfer d’odeurs sûres, de sanies et d’humeurs plus ou moins maîtrisées. Avec ça, le grand cirque des conventions sociales : « La Dame de Charité est en ruines, grignotée, ravagée par les ans et les plaisirs passés. Sa peau est flétrie et pend le long de ses joues comme des pansements défaits (…) La vieille femme est répugnante. Il ne lui reste plus rien d’humain, plus rien de spontané (…) Je l’imagine dans un futur musée avec cette pancarte à ses pieds : “La Dame de Charité. – Époque Capitaliste” ».
Dénombrant l’« amas de malheurs, de stupeur  » qui se loge dans la maternité, elle décrit les « pitoyables ruses avec la misère et l’inévitable  » de parturientes pour la plupart pauvres, affamées, soulagées souvent d’être accueillies dans ce milieu pourtant terrible. En lisant Henriette Valet, on pense inévitablement à La Cité des fous de Marc Stéphane, au Chalet 1 d’André Baillon, à La Maternelle de Léon Frapié. Jean Prugnot, le chroniqueur du magazine P.T.T., lancera : « c’est un coup de poing dans l’estomac des satisfaits ». Henry Poulaille avait dit son enthousiasme dans Le Peuple, Ludovic Massé dans Lectures du Soir, Édouard Peisson dans Europe… On la comparait à Neel Doff justement. C’était un très beau succès.
Trois ans plus tard, Henriette Valet donne Le Mauvais Temps (écrit avec Henri Lefebvre), ce fameux second roman. Sans doute n’est-il pas tout à fait réussi. Basé sur les souvenirs d’Henriette, c’est un livre si embarrassé de littérature que le matériau qui s’y trouve entreposé est lessivé de toute la puissance du premier coup qu’avait été Madame 60 bis.
À Jean Prugnot, elle avait déclaré en 1937 : « J’ai compris que la littérature n’était ni un jeu ni un passe-temps, mais une action  ». Elle s’en tiendra là, poursuivant son activité de téléphoniste et signant des reportages dans le journal Ce soir, puis elle s’éteindra beaucoup plus tard, le 28 décembre 1993 à Paris, après une vie que l’on imagine bien remplie. Il n’y a pas lieu de croire que les derniers mots de Madame 60 bis aient menti. Ils annonçaient la combattante et l’espoir : « Oui je rentre dans la ville, après une amère et salutaire expérience. Je reviens plus lucide, décidée à agir non seulement pour moi, mais pour toi, mon fils – mon enfant que j’ai conquis, qui est mien, uniquement mien, et que je veux défendre et mener à la vie. Je n’ai pas su répondre à cette question : que faire ? J’ai seulement appris que mes colères intérieures et mes révoltes étaient inutiles. Je chercherai. »


Éric Dussert

L’amère expérience Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°188 , novembre 2017.
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