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Égarés, oubliés Réinventer l’énigme

février 2024 | Le Matricule des Anges n°250 | par Éric Dussert

La romancière anglaise A. S. Byatt récemment disparue aura-t-elle œuvré pour rien ? Ses malicieuses expérimentations et son formidable goût pour les récits trouveront-ils encore des adeptes ?

Constatant l’empressement que met le milieu littéraire à négliger les écrivains dès lors qu’ils ne sont plus aptes à produire de cette panacée qu’est la « nouveauté », il nous est venu à l’esprit que, peut-être, on avait déjà oublié la romancière anglaise A. S. Byatt décédée cet automne, le 16 novembre, à Londres. Ses livres Le Sucre et Possession ont été au cours des décennies 1980-1990 d’incontournables lectures. Les librairies la « badaient ». Près de trente ans plus tard, qu’en est-il ? Plus un livre sur table, et pas plus de poches sur les étagères. Le néant a nimbé de sa noire étole la mémoire des uns et le commerce des autres. Se souvient-on seulement de ce que son parcours en France a été autorisé par une double publication des éditions des Cendres, bibliophiliques à bien des égards, et par le travail obstiné d’un traducteur, Jean-Louis Chevalier à qui l’on doit quasiment toutes les versions françaises ?
Née Antonia Susan Drabble, le 24 août 1936 à Sheffield, dans une famille aisée du Yorkshire, elle est une enfant qui dévore les livres, comme ses sœurs cadettes, Margaret qui deviendra elle aussi romancière et biographe, et Helen, historienne de l’art. Antonia Susan suit des études à Cambridge, Oxford ainsi qu’en Pennsylvanie, puis enseigne à des étudiants la littérature et l’histoire à Londres pendant une vingtaine d’années durant lesquelles elle cumule sa vie professionnelle, sa vie de mère – elle a quatre enfants – et sa vie d’écrivaine puisque son premier livre paraît en 1964 (Shadow of a Sun, Chatto & Windus ; L’Ombre du soleil, Flammarion, 2009), rapidement suivi de son essai sur l’Irlandaise Iris Murdoch et son œuvre (Degrees of Freedom. The Early Novels of Iris Murdoch, C. & W., 1965 ; non traduit). En France, ce sont donc les nouvelles composant Le Sucre, recueil de 1987, qui paraissent deux ans plus tard aux éditions des Cendres. Les pages de littérature semblent frileuses à l’idée de se mouiller en traversant la Manche : il aura fallu un quart de siècle pour l’œuvre d’A. S. Byatt (elle a épousé Mister Byatt et pris son nom, comme de juste). Une fois que la terre de France fut investie, elle fut prise. A. S. Byatt fut une romancière appréciée, et en particulier parce que son Possession, roman romanesque (Flammarion, 1993) tombe à pic dans un pays qui aime les bousculeurs de structure, ainsi que les mélangeurs de faits réels et de morceaux de fiction. Ses rapports au récit et au savoir caractérisent son œuvre que beaucoup trouvent à la fois érudite (on étudie désormais son « intertextualité ») et particulièrement agréable. D’autant qu’elle expérimente doucement, traçant sa voie entre une recherche des formes dans le respect de la narratologie traditionnelle. Pas révolutionnaire, néanmoins progressiste donc. Ses « fastueuses charades romanesques » et ses « raccourcis fulgurants » dont la critique se régale trouvent parfois même des accents dignes d’Umberto Eco ou de José Saramago, comme dans Le Conte du biographe (Denoël, 2005 ; The Biographer’s Tale, C. & W., 2000) où, peut-être, le propre vécu de la romancière se lit entre les lignes, parmi écologistes, taxinomistes et agents de voyages… « Tant que nous ne la détruisons et ne la réduisons pas irrévocablement, la terre trop-aimée excédera toujours notre capacité à la décrire, à l’imaginer, à la comprendre. » La Terre, on l’a deviné n’est pas son principal souci. Bouleversement de la vie sexuelle, conflits intrafamiliaux, ambitions censurées, A. S. Byatt n’aura pas manqué de mettre le calame là où ça fait mal. Et à commencer au sein de sa propre famille puisque Le Sucre met en scène un père particulièrement oppressif… La Tour de Babel (C. & W., 1996 ; Flammarion, 2001) raconte par exemple le parcours d’une jeune femme mariée à un homme qui ne l’autorise pas à suivre ses aspirations. On a le droit d’y lire l’histoire de son propre premier mariage… Souventes fois, elle s’autorise d’ailleurs une lecture non strictement féministe des rapports hommes/femmes, en particulier à propos de la façon dont sont interprétées les positions marginalisées des femmes « offertes » par la société patriarcale. Son postulat est que la vision des unes doit intégrer la vision des autres, et vice-versa.

Manifestement, son goût des livres aura été tel que Possession lui vaut le Booker Prize. Son péché mignon a cristallisé à chaque page de ce « roman romanesque » assez « total », puisque c’est comme cela que l’on désigne les livres ambitieux. Et cependant, son point de départ n’a pas belle allure : « Le livre était épais, noir et tout poussiéreux. Sa couverture était gondolée et crissante. C’était un livre qui avait jadis subi des mauvais traitements. » Elle fait de cet encombrant une « cathédrale de mystères » et un « labyrinthe de passions »… Les hédonistes auront senti qu’il n’est plus question d’y échapper. Et puis il semblerait qu’il soit possible de tomber dans cette marmite sans trop d’efforts : la base de données Electre du Cercle de la Librairie annonce la disponibilité de tous les livres d’A. S. Byatt. Profitons-en tant qu’il est temps…


Éric Dussert

Réinventer l’énigme Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°250 , février 2024.
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