La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Égarés, oubliés Le lettriste disparu

mai 2024 | Le Matricule des Anges n°253 | par Éric Dussert

Poète, agitateur et voyou, Serge Berna aura été le cofondateur de l’Internationale lettriste et le sauveteur de quelques pages d’Artaud.

Ecrits et documents

Edition établie par Jean-Louis Rançon
Editions Editions du Sandre

Même s’il n’est pas le plus célèbre des lettristes, on n’enlèvera pas à Serge Berna le fait qu’il a eu son heure de gloire. Il a notamment participé le 9 avril 1950 au « scandale de Notre-Dame » durant lequel Michel Mourre (1928-1977), déguisé en moine dominicain, monta en chaire et déclama des textes blasphématoires inouïs sur la mort de Dieu. Télévisé avec la messe, ce prêche aura droit à une diffusion formidable, et au rappel par la presse du lendemain. Ce sera sans doute le plus haut fait de Serge Berna, par ailleurs cofondateur de l’Internationale lettriste (1952) avec Jean-Louis Brau et consorts, et… voyou.
La biographie de Berna, né à Venise le 13 juin 1924, comporte de nombreuses zones d’ombre. En particulier celles qui suivent son engagement en 1944 et sa période bohème, à Saint-Germain-des-Prés, après qu’il fut rendu à la vie civile. Une première condamnation à six mois avec sursis pour vol de livres le signale en 1949, juste avant qu’il ne lance avec quelques amis le Club des Ratés, structure organisatrice du Grand Meeting des Ratés du 16 mars 1950, probable lieu de préfiguration du coup de Notre-Dame. On retrouve aussi son nom au sommaire des premières publications lettristes (Ur, Ion, Le Soleil noir). Proche de Jean-Louis Brau, lui-même haut en couleur, de Guy Debord et de Gil Joseph Wolman, il produit alors un des écrits tout juste réédités, son « roman-film influentiel », un manuscrit-collage de 78 feuillets. Il est alors en correspondance avec Wolman, Debord, Koenig, Mariën, Magritte, Bazin, Étiemble, Breton… Mais la justice veille et les affaires commencent à lui teinter le portrait.
À la fin de l’année 1953, il donne des conférences en Algérie, « sur tout », est jugé de nouveau en mars 1954 – peine supprimée grâce à la loi du 6 août 1953 portant amnistie des délits antérieurs à 1951 pour les engagés volontaires de la Deuxième Guerre mondiale. Lentement mais sûrement, il se retire du monde, de celui de Saint-Germain-des-Prés en particulier, après l’échec de sa revue En marge (1955) qui n’aura qu’une seule livraison. Au terme du numéro, dans ses « Réflexions », on peut lire ceci : « Les hommes, dont nous sommes encore, ont longtemps oscillé entre la puissance de bête du pur pouvoir exclu du savoir – et l’ordre divin du pouvoir inclus au savoir » Et ces courtes pensées se terminent ainsi : « Devenus maquereaux de la mort, ils… »
S’il est encore du groupe des humains, il a une sérieuse tendance à s’effacer au point que les éléments connus de la suite de ses jours sont vraiment très maigres : dès 1956, il se tourne vers la peinture. Et d’avril à août 1959, il séjourne dans le Sud et participe à une exposition de la « Nouvelle École de Paris » avec Brau et Wolman à La Garde-Freinet dans le Var. Peut-être vend-il sa peinture – on n’en connaît aucune œuvre – mais il commet sûrement quelques frasques dans le Sud car il fréquente les tribunaux du cru. Arrêté à Saint-Tropez, il est incarcéré à Draguignan, condamné à trente mois de prison en décembre 1960, transféré aux Baumettes à Marseille en 1961. Il écrit à André Breton le 5 avril 1961 et se trouve libéré le 19 novembre 1961, dernière ligne de son étrange biographie. Il pourrait avoir aujourd’hui 99 ans…
Au-delà de ses démêlés avec la vie, on doit encore à Serge Berna une chose importante. Lorsqu’il bricole du côté de Saint-Germain-des-Prés, il découvre dans un galetas de la rue Visconti des pages dont il reconnaît l’écriture… Il le raconte en préface du livre publié par Éric Losfeld en juin 1953 : « C’était l’année passée (en 1952 donc). Ce matin-là j’accompagnais vers la rue Visconti un ami dont l’excellente profession était de récurer caves et greniers d’un contenu jugé superflu par les locataires. Un chiffonnier, quoi, patenté douteux mais buveur solide qui avait dans la vie connu plus de fonds de verre que de marques d’estime de la part de ses concitoyens. (…) Je m’approchais de ce musée et mon œil se noyait dans les livres gris-fayard, les feuillets avec des bilans tapés à la machine (…) papiers décatis couverts d’écritures bleues et noires et rouges ou rondes ou nerveuses, toutes arthritisées, comme pénétrées d’une mince buée grise.
(…) les combles à vider. Je vais vaguement à gauche puis vaguement à droite, et en effet il y a une porte un peu ouverte qui donne vers un trou obscur aux limites vaguement déterminées, aux poutrelles noyées dans le confus de ce grenier sans vasistas. J’entre, je me retourne, et j’accroche une pile de choses instables. Le tout dégringole mollement avec une lenteur de nuit. Je me baisse vers quelques pages tombées là à mes pieds. (…) Je lus avec une passion croissante de longues phrases admirables. Au bas de la feuille le texte continuait ailleurs. Je pris une autre feuille. Immédiatement mes yeux tombèrent au bas de la page où une signature les tirait. Je déchiffrais Ant… et prononçais tout haut ANTONIN ARTAUD »
Ces écrits d’Antonin Artaud composent Vie et mort de Satan le Feu, miraculés grâce à Serge Berna, poète porté disparu.

Éric Dussert

Écrits et documents,
Serge Berna
Édition établie par Jean-Louis Rançon
Éditions du Sandre, 200 pages, 35

Le lettriste disparu Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°253 , mai 2024.
LMDA papier n°253
6,90 
LMDA PDF n°253
4,00