Le dispositif est modeste : seize clichés, plus ou moins jaunis – images pauvres tirées de l’album familial – auxquels répondent, en regard, seize textes courts. Autant de diptyques prétextes à explorer les origines et la jeunesse enfuie – les dire, mais peut-être d’abord les construire. Regarder, et écrire, pour interroger cet autre sur la photo, ce spectre figé alors que le flux de l’existence a passé, a épaissi les corps et effacé la beauté. Regarder, et écrire, sans tenter de masquer l’effet de profonde étrangeté suscité par ces images banales et insouciantes, souvent solaires, qui, mises bout à bout, prétendent résumer l’histoire d’une vie : laisser résonner l’écart, le mensonge qu’elles incarnent, elles qui « valent peut-être comme traces, plutôt que comme significations ». Pas de « je » ici, mais un récit fragmentaire à la troisième personne dont le sujet, mis à distance, est « le Garçon ». Tout à la fois cru et pudique, sensible et prosaïque, brutal et incroyablement délicat, Shaun Levin fissure, creuse, déplace, révélant le raccord impossible entre image, réel et mémoire. En quelques mots d’ouverture, une trajectoire sombre est tracée – l’homosexualité et l’incertitude du genre, le désir panique de « la chair des autres », la judéité et l’exil, la détestation de soi – dont l’impeccable traduction d’Étienne Gomez restitue la ritournelle douce-amère.
Valérie Nigdélian
Le Garçon en polaroïds, de Shaun Levin, traduit de l’anglais par Étienne Gomez, Signes et Balises, 72 pages, 11 e
Domaine étranger Portraits crachés
janvier 2018 | Le Matricule des Anges n°189
| par
Valérie Nigdélian
Un livre
Portraits crachés
Par
Valérie Nigdélian
Le Matricule des Anges n°189
, janvier 2018.