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Traduction Marie-Hélène Piwnik

janvier 2018 | Le Matricule des Anges n°189

Livre(s) de l’inquiétude, de Fernando Pessoa

Livre(s) de l’inquiétude, de Fernando Pessoa, est la traduction d’un texte qu’il faut considérer, dans une large mesure, comme nouveau. Il s’agit en effet d’une réorganisation convaincante et magnifique que l’on doit à Teresa Rita Lopes, professeur des universités émérite de l’Université nouvelle de Lisbonne, et spécialiste reconnue de Pessoa auquel elle a consacré deux ouvrages, Fernando Pessoa et le drame symboliste – héritage et création, et Fernando Pessoa et le Théâtre de l’Être, pour ne citer que ses ouvrages en français.
Pour la première fois, le baron de Teive, et son Éducation du Stoïcien, est introduit entre les deux autres hétéronymes : Vicente Guedes, qui ouvre le texte, et Bernardo Soares, qui le clôt. La preuve la plus nette que Pessoa réservait une place au Baron dans son magnum opus est qu’il ait commencé à ranger, peu avant de mourir, les feuillets dispersés consacrés aux textes de Teive dans le même dossier où il avait placé ceux qu’il destinait aux Livro(s) do Desassossego, et auquel on a accès à la Bibliothèque Nationale de Lisbonne. De plus, Teresa Rita Lopes distingue clairement Vicente Guedes de Bernardo Soares, assignant à chacun un ensemble précis de fragments, ce qui lui permet de définir Guedes, Teive et Soares comme « les trois lunes jumelles de la planète Pessoa ».
Dans cette perspective nouvelle, chaque hétéronyme est parfaitement différencié. C’est vers 1917, rappelle Teresa Rita Lopes, que Pessoa attribue « l’autobiographie de qui n’a jamais existé » à l’aristocrate blasé Guedes, qui est un petit employé de commerce, mais dont les caractéristiques sont une certaine pose, un style recherché, et une artificialité fleurie qu’il affirme être son naturel. Il meurt tôt, tuberculeux, dans son deux-pièces coquet, éternel dandy de noble famille, pourtant obligé de gagner sa vie, méprisant les ouvriers, les faibles, et proposant d’ « absurder » la vie. Impossible de le confondre avec le très plébéien Soares : celui-ci est assistant comptable, n’a rien publié, et sa seule ambition, dit-il, est de passer chef comptable… Son visage est sans expression, pareil à celui d’un « jésuite borné », d’un « sphinx en papier ». Il ne prend pas au sérieux ses « impressions décousues », son « autobiographie sans événements », et se dit « un rêveur ironique ». C’est un « promeneur de corps et âme », qu’il déambule dans les rues de Lisbonne ou observe les gens qui l’entourent au bureau, son patron Vasques, son chef Moreira, le garçon de courses… La modeste pièce qu’il occupe contraste avec le luxueux appartement de Guedes, leur attitude devant la réalité est radicalement différente : Guedes la méprise pour mieux l’inventer, alors que Soares s’attendrit devant les êtres et les choses dans leur prosaïsme, tout en jugeant l’humanité avec une lucidité sans concession. Soares se dit et se veut « Décadent », cultive le sordide, privilégie les audaces de langage, considère l’âme comme un ramassis de « viscosités sans vie, limaces sans être, morve de la subjectivité », cherchant ainsi à se distinguer des « costards-cravate de la littérature ». Il considère ses « notes » comme des « divagations sans objet ni dignité ». Mais il est, dit-il, « satanique », et affirme que « pervertir pourrait être un but de son existence ». Quant au texte de Teive, c’est une sorte de testament, puisque le Baron décidera de se suicider, ayant auparavant renoncé à se marier avec une jeune fille aux manières par trop plébéiennes, craignant d’être moqué, et rejoignant ainsi son créateur, qui n’a pas épousé Ofélia pour des raisons voisines. Pour sa part, il se distingue de Guedes et de Soares parce qu’il ne se livre pas, ne cède pas à ses impulsions, et protège son intimité avec une sorte d’austère pudeur. Et il est celui qui reflète le mieux l’attitude de Pessoa à l’égard de la sexualité. Pessoa le fera mourir, de même que Guedes. Est-ce parce qu’il aime tendrement la vie (comme Álvaro de Campos) que Soares, lui, survit à Pessoa ? Ou parce qu’il est le plus proche de son créateur ?
Les trois blocs d’écriture, bien distincts, qui composent ce nouveau texte, font donc entendre trois musiques, puisque le fond, la forme, le son, le rythme sont particuliers à chaque hétéronyme. J’ai donc voulu les laisser chanter dans leur spécificité, en obéissant à leur cohérence interne, à la mélodie de chacun d’entre eux, me laissant emporter, bercer par le chant qui définit chaque partition.
Ma traduction est donc à trois voix, trois partitions, qui d’une certaine manière se répondent, et elle s’efforce d’accompagner au mieux les états d’âme qu’elles expriment, et qui reflètent aussi Lisbonne, ses quartiers, ses quais, ses ruelles, ses petites gens, que baignent et magnifient les lumières de la ville, déclinées dans la joie ou la tristesse. Un poème en prose, long comme un fleuve intranquille, qui délivre le message de portée universelle de son génial créateur.
Le terme intranquillité est une belle création verbale de Françoise Laye (puisqu’il n’existe pas en français). J’ai personnellement choisi un titre qui privilégie l’inquiétude aux résonances pascaliennes.

* Marie-Hélène Piwnik a traduit entre autres Mário de Carvalho, Eça de Queiroz, Vergílio Ferreira, Pedro Rosa Mendes. Livre(s) de l’inquiétude paraît le 18 janvier aux éditions Christian Bourgois.

Marie-Hélène Piwnik
Le Matricule des Anges n°189 , janvier 2018.
LMDA papier n°189
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