La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Poésie Écrit en suspens

janvier 2018 | Le Matricule des Anges n°189 | par Emmanuel Laugier

transcription est un livre insécable, chacune de ses pages est un document témoin de la logique de destruction que planifia le nazisme.

Publié en deux volumes en Allemagne (1986 et 1997), nachschrift, transcription, est l’œuvre d’une vie, celle de l’écrivain (et photographe) Heimrad Bäcker, né à Vienne en 1925. Ce livre, élaboré sur une durée de plus de trente ans dès la fin des années 40, est l’acte d’un rachat autant que celui d’une tentative testimoniale unique, aussi induplicable que non-reproductible. On peut à juste titre le comparer à Holocauste, pour l’emploi que Charles Reznikoff fait lui aussi du matériau brut juridique. transcription est en effet le montage (au sens des Histoires du cinéma de Godard) de documents systématiquement liés au nazisme, que ceux-ci soient extraits d’archives retrouvées des bourreaux, témoignages de survivants, bandes enregistrées des procès Nuremberg et Eichmann, rouleaux d’Auschwitz, liste de chiffres, abréviations, légendes de plans, dates, signatures, ordres, notes idéologiques, etc. dont la bibliographie finale (hélas non traduite), ainsi que les notes la référant pour chaque page, en indiquent les sources. Tous ces documents se succèdent en ayant été classés, prélevés selon une volonté de l’auteur (dont celle de ne jamais employer aucune majuscule). Parfois seule une ligne est extraite d’une masse d’écrits, ou se trouve répétée à l’identique. Un télex de la Gestapo : « ++ quand le capitaine eichmann passera-t-il de nouveau par ici ++  » . Une inscription à Mauthausen : « tot het bittere einde » (jusqu’au bout), une phrase d’un survivant (?) « j’ai eu douze ans le deux juin et suis momentanément encore en vie  », ou bien cette note : « zyklon b était un pesticide couramment utilisé et simple, dont la commande et la livraison se faisaient parfois par carte postale  » (p.321). Il existe une seule exception a-chronologique : elle se trouve à la p.34 et est extraite des Meyers Konversations-Lexikon 5. (1897), une encyclopédie de 18 volumes conçue au XIXe siècle, dont la phrase terminale éclaire néanmoins la violence sous-jacente du livre de Bäcker : le treizième « air » nommé, après celui de « chamonix  » et des « marais  », cet « air dans lequel on supporte difficilement de rester quelques minutes  »… Seules les tentatives testimoniales vont lui répondre, jusque cette « littérature en suspens  », telle que l’universitaire Catherine Coquio la définit. Littérature d’« après » la Shoah, et de « l’après » des camps. Bäcker appartient à celle-ci : depuis la vaste catégorisation de ses actes il serait l’un des héritiers non-juifs de cette mémoire, et comme bien d’autres il vient définitivement évacuer l’interdit qu’Adorno fit peser sur toute possibilité d’écriture relative à cet événement. C’est au même titre que Primo Levi, Celan, Bachmann, Kertész, Amery, ou encore Klemperer, que Bäcker prend en charge cette négativité, in-transposable et inéligible en tant que telle.
Pourtant, de cet interdit il tire, selon une méthode de travail issue de la poésie concrète autrichienne, toute la logique atonale de transcription, véritable concrétion, par laquelle s’agrègent en un ensemble compact ces documents dispersés et divers. Ils deviennent ainsi un véritable feuilleté radioactif de toutes les voix disparues, rouleaux de toutes les dernières bandes. Son ami poète Friedrich Achleitner rappelle que transcription se conçoit, entre le matériau convoqué et « le plan de référence d’une réalité langagière  », comme le réglage d’une distance juste et nécessaire avec une réalité (la Shoah) qu’il faut « rendre pensable et connaissable dans toute son envergure  ».
Bäcker, souffrant d’un léger handicap (polio), rejoint à 13 ans (en 1938) les rangs des Jeunesses hitlériennes pour, plus tard, en 43, adhérer au Parti national-socialiste. Ces deux engagements, qu’il faut lier à ce qu’il comprendra de la planification nazie (il sera recruté par les forces alliées pour travailler au camp de Mauthausen) et à son aveuglement juvénile, déterminent tout son projet de rachat, lui qui ne fut ni bourreau, ni survivant de l’extermination nazie, mais témoin secondaire d’une histoire aux actes abominables, par lesquels le sens moral d’un peuple et d’une politique fut détruit. Conséquemment, le témoignage de Bäcker n’est pas rattachable à la seule notion de culpabilité, mais plutôt à la force « contrainte  » et « performative  » que son élaboration a choisie comme son impératif catégorique. La puissance de ce « système transcription » habite cette zone infranchissable, et en fait toute la teneur d’une vérité exposée.
Emmanuel Laugier

transcription, de Heimrad Bäcker
Traduit de l’allemand (Autriche) par Eva Antonnikov, postface de Friedrich Achleitner, Héros-Limite, 410 pages, 26

Écrit en suspens Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°189 , janvier 2018.
LMDA papier n°189
6,50 
LMDA PDF n°189
4,00