Lyonnaise comme Noémi Lefebvre, la narratrice de son cinquième livre devrait chercher du travail, préfère lire des livres, tente d’y voir clair dans ce que peut et doit la poésie et en parle à son père. Ça se passe aujourd’hui puisque les rues de Lyon sont pleines de soldats camouflés campagne, ce qui fait qu’on les repère de loin. Il y a aussi des « fascistes » qui distribuent des tracts ou des journaux, des policiers, des gens armés qui nous protègent d’autres gens armés face auxquels la poésie devrait se mettre au service de la France, de sa sécurité. C’est ce que pense le père de la narratrice, qui conduit son 4x4 comme John Wayne monte à cheval. Dans une langue qui file vite, surprend, s’enroule parfois sur elle-même comme un serpentin de fête, Noémi Lefebvre, mine de rien, touche à des questions fondamentales avec un brio joyeux et drôle. Dans ses conversations avec le père totémique et sévère, la jeune femme pose un regard d’idiot sur le monde. Pour « idiot » entendez une forme d’innocence, une incrédulité face à quoi le discours du père (intellectuel sûr de lui) a du mal à échapper à ce qui le fissure.
Jouant joyeusement de la relation au père adoré-craint-haï, Noémi Lefebre développe un art poétique semblable au loup de Tex Avery : rapide et souple, la pensée surgit où on ne l’attend pas, désamorce tout pathos, fait trébucher le lecteur qui du coup doit lâcher ses certitudes pour ne pas tomber. Sans résister au plaisir des trouvailles multiples que le livre recèle : « Le jour où les cygnes seront personnellement concernés par la faim dans le monde ils feront moins les beaux ». Une gourmandise de virtuosité !
T. G.
Poétique de l’emploi de Noémi Lefebvre
Verticales, 102 pages, 12 €
Domaine français Poétique de l’emploi
mars 2018 | Le Matricule des Anges n°191
| par
Thierry Guichard
Un livre
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°191
, mars 2018.