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Domaine étranger L’art de la fiction l’art de la fiction

juillet 2018 | Le Matricule des Anges n°195 | par Thierry Guinhut

Assassiner ses personnages conduirait-il à faire de l’écrivain un réel tueur ? Un inédit de Tanizaki.

L’on croyait tout connaître de Jun’ichirô Tanizaki (1886-1965) grâce aux deux volumes de la Pléiade proposant son œuvre narrative. Son essai esthétique L’Éloge de l’ombre le dispute en réputation avec des romans comme La Confession impudique ou le Journal d’un vieux fou. Étonnamment, il restait au moins un inédit, du moins en traduction française. Disons-le tout net : il ne s’agit là en rien d’un fond de tiroir. Noir sur blanc, publié en 1928, est un titre mystérieux, quoiqu’il nous entraîne vers les rives du roman noir, ce qui n’est ni tout à fait faux, ni tout à fait vrai.
Hors la symbolique du bien et du mal, ce noir et ce blanc sont les caractères imprimés sur la page. En effet, le héros, ou plus exactement anti-héros, Mizuno, est écrivain. C’est un solitaire, passablement médiocre et velléitaire, peinant à livrer ses textes au magazine qui l’emploie, impécunieux, payant des prostituées, courant après son fantasme de femmes vénales. Sa liaison avec une dactylo veuve d’un Allemand dont il prétend faire son « jouet » devient un rameau secondaire du récit : « je voudrais que tu inventes une intrigue pour moi », lui demande-t-il. Aussi se métamorphose-t-elle : « une femme, un fauve, une divinité ». Les affres et les images de l’érotisme rappellent La Confession impudique. La satire n’est pas sans un discret et cruel humour.
Le romancier pousse le réalisme à sa dernière extrémité. Le crime que son personnage commet dans « Jusqu’au meurtre » doit être le double de celui qu’il réussit, sans autre mobile apparent : « un meurtre réel basé sur un roman qui décrivait un meurtre fictif ». Écho du Raskolnikov de Crime et Châtiment de Dostoïevski, il se sent « capable d’accomplir n’importe quel crime en toute indifférence ». Hors ce qui pourrait permettre d’identifier le meurtrier, la victime doit ressembler à son modèle. Hélas l’écrivain, toujours en retard pour rendre ses manuscrits, laisse passer une coquille : le nom exact de la victime dans la vraie vie ! Une fois publié, « Jusqu’au meurtre » est bientôt suivi par la rédaction d’une suite : « Jusqu’à ce que l’auteur de “Jusqu’au meurtre” meure »…
Le Kojima en question, qu’il compare à une « chaussure qui parle », à une « vieille godasse », est en effet tué. Notre écrivain, pris par les brumes de l’alcool et de la luxure, l’aurait-il caché à son lecteur ? N’est-ce qu’une désastreuse coïncidence ? L’alibi selon lequel il a passé la nuit du meurtre avec cette femme sans nom semble bien fragile, tant il est impossible de retrouver son logis, tant elle fut prudente, devant la littéraire préméditation. D’autant qu’il a tué un paquet de personnages dans ses romans : « D’ailleurs, si son épouse l’avait quitté, c’est bien parce qu’il en avait écrit trois ou quatre coup sur coup où le meurtrier assassinait sa propre femme »
La dimension policière est certes attrayante ici, mais outre l’analyse psychologique fouillée, il est question de l’engagement de l’écrivain : jusqu’où doit-il pousser le scrupule et l’exactitude, doit-il risquer sa liberté, sa vie, dans le souci de son œuvre ? L’inspecteur est évidemment un de ses lecteurs perspicaces. L’éditeur quant à lui « sautera de joie », car il publiera une œuvre célèbre : « le roman qui a coûté la vie à son auteur » !
Ce jeu de miroirs est-il un autoportrait ironique de l’auteur lui-même ? Tanizaki est coutumier des personnages tourmentés qu’il tourmente à plaisir, en un kaléidoscope de fictions et de sensations, de délicieuse perversion. Son histoire est un chef-d’œuvre machiavélique, au point que fiction et réalité finissent par se refermer sur l’écrivain-marionnette pour le broyer entre leurs serres. Que le lecteur soit rassuré, il ne lui arrivera rien, pas même une inculpation pour complicité. Nous l’avons échappé belle.

Thierry Guinhut

Noir sur blanc, de Jun’ichirô Tanizaki
Traduit du japonais par Ryoko Sekiguchi et Patrick Honnoré, Philippe Picquier,
256 pages, 19,50

L’art de la fiction l’art de la fiction Par Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°195 , juillet 2018.
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