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Domaine français De chair et de sang

octobre 2018 | Le Matricule des Anges n°197 | par Camille Cloarec

Malveillant, pervers, brutal, La Vraie Vie d’Adeline Dieudonné n’épargne ni la famille, ni la banlieue. Un récit coup de poing.

À la maison, il y avait quatre chambres. La mienne, celle de mon petit frère Gilles, celle de mes parents et celle des cadavres » : c’est avec cette phrase qu’Adeline Dieudonné ouvre son premier roman, d’une dureté rare. Dans un lotissement d’un quartier résidentiel belge laid et terne, tristement nommé le Démo, une famille s’entre-tue. La caractéristique principale du père est son extrême violence, qui a peu à peu transformé la mère en « une forme de vie primitive, unicellulaire, vaguement translucide. Une amibe. Un ectoplasme, un endoplasme, un noyau et une vacuole digestive ». Il est aussi chasseur, ce qui explique l’existence de cette dernière pièce, remplie de trophées, d’animaux empaillés et d’armes à feu. Quant à la narratrice et à son petit frère Gilles, ils survivent tant bien que mal dans ce quartier où après chaque crise « chacun s’en retournait à sa prostration solitaire, devant sa télé, cultivant, au choix, dépression, aigreur, misanthropie, apathie ou diabète ». Mais l’équilibre est précaire. Les scènes sauvages s’amplifient, les interdictions pleuvent, les insultes se multiplient. Et, un beau jour, un drame survient : le siphon de crème, aliment défendu et commandé en cachette par les enfants au glacier du coin, explose à son visage, et les laisse avec l’image indélébile d’un homme sans tête, qui décède instantanément devant eux.
Aucune réaction des parents face à l’horreur. Ils « n’ont rien vu. Mon père était trop occupé à commenter la télé à ma mère et ma mère était trop occupée à avoir peur de mon père », remarque la narratrice. Cependant, le petit Gilles ne parle ni ne rit plus. Le marchand de glace est remplacé par un nouveau, qui continue de faire le tour des pâtés de maisons au rythme de La Valse des fleurs de Tchaïkovski. Ce simple morceau hante Gilles, il va « taper sur un élément tout au fond de lui, la pièce centrale du mécanisme qui fabrique la joie, le démolissant chaque jour un peu plus, le rendant toujours plus irréparable  ». Sa sœur, pour le sauver, se lance dans les sciences afin de mettre au point une machine à remonter le temps. Elle suit secrètement des cours avec l’éminent professeur Pavlović, devient excellente et saute des classes.
Et les années filent, Gilles n’est plus un petit garçon mais « un charognard », « le Jack l’Éventreur des chats du Démo ». Nourri aux coups depuis sa naissance, il prend des leçons de tir et fait souffrir les animaux du coin. Impuissante, sa sœur assiste à sa métamorphose monstrueuse. Les personnages autour ne sont d’aucun secours, depuis toujours : ni la voisine Monica, ni Plume et Champion, le couple dont elle garde les enfants, ne semblent deviner ce qui se trame du côté de chez eux.
La Vraie Vie dépeint avec beaucoup de justesse ce silence, cette indifférence quotidienne de la part des proches (professeurs, voisins, etc.) susceptibles de devenir de véritables sauveurs, et qui demeurent timidement en retrait. Ce qui vient en aide à la narratrice, c’est bien plutôt « la nature et sa parfaite indifférence. Sa façon d’appliquer son plan précis de survie et de reproduction, quoi qu’il puisse se passer » chez elle. Sa naïveté, ses élans amoureux, ses doutes la font ressembler à n’importe quelle jeune adolescente, et teintent le récit d’une fausse légèreté. Car le fond du roman est d’une lourdeur opaque, étouffante. Il est trop tard, dès les premières phrases, pour espérer une quelconque issue. La violence n’ira que de mal en pis. Seuls demeurent l’obstination, la liberté de pensée, l’esprit critique, qui n’abandonneront jamais cette jeune fille : « Il y a des choses qu’on ne peut pas accepter. Sinon on meurt  », se répète-t-elle. Peut-être est-ce cela, la vraie vie, une révolte interne, profonde, parfois agressive, envers ce qui ne devrait pas être.

Camille Cloarec

La Vraie Vie
Adeline Dieudonné,
L’Iconoclaste, 270 pages, 17

De chair et de sang Par Camille Cloarec
Le Matricule des Anges n°197 , octobre 2018.
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