Ce livre, son tout dernier, il ne l’aura pas vu publié. Franck Venaille est mort à 81 ans en août dernier, peu avant sa parution. Si on peut le voir comme un faire-part de décès, on ne fera certainement pas de cet opuscule posthume un testament. Ce n’est pas une récapitulation grandiloquente, pas le genre cerise sur le tombeau, non. Jusqu’au bout, même encore dans les ultimes pages, Venaille semble douter du bien-fondé de cette « cérémonie du retour sur soi-même », regard sur une prime jeunesse passée dans un quartier populaire de l’est parisien. Cette évocation éclatée, il la délègue à l’enfant de 11 ans qu’il était, domicilié rue Paul-Bert, non sans reprendre souvent la voix, comme on dit reprendre la main, créant ainsi une sorte d’effet de superposition narrative. « Archives mentales », « photographies de (son) passé », « souvenirs qui macèrent », « cinéma intérieur », ce récit géopoétique et kaléidoscopique convoque silhouettes et fantômes, celles-là dissimulées dans l’embrasure des portes cochères, ceux-ci traînant leurs guêtres sur le macadam. À la faveur de cette immersion mémorielle renaît donc toute une « imagerie », une autre époque, celle de l’apprentissage militant, des grandes heures de l’incollable « credo communiste », la faucille, le marteau, le drapeau rouge, l’Huma vendu à la criée, le « charivari de vieilles chansons ouvrières ». Bref, la politique qui donne « un sens à la vie » d’un gamin qu’un mal inconnu consume déjà : « une angoisse sans bornes », bile noire. Là s’originent « l’être blessé » que Venaille sera toute sa vie et la vocation du poète en « guenilles » qui peut-être chercha dans une « narration lyrique » un remède à sa mélancolie profonde. Incrustée dans sa mémoire, l’image de la rue Paul-Bert brille alors à la manière de ces gemmes noires qui emprisonnent la lumière en d’inquiétants reflets ; elle dégage un magnétisme étrange. Ainsi L’Enfant rouge serait-il une tourmaline brute, sombre pépite griffée de lignes parallèles : celles de nos vies d’avant, parfois à fuir ou, comme ici, à désenfouir.
Anthony Dufraisse
L’Enfant rouge
Franck Venaille
Mercure de France, 103 p., 12,50 €
Domaine français Le rouge et le noir
janvier 2019 | Le Matricule des Anges n°199
| par
Anthony Dufraisse
Un livre
Le rouge et le noir
Par
Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°199
, janvier 2019.