Sorte d’histoire universelle de la sauvagerie (qui n’est pas forcément là où croyait la trouver le conquérant Européen aveuglé par la poutre obstruant son œil), ce recueil, constitué, selon les mots de l’auteur, « d’histoires mineures, exemplaires, qui, ensemble, racontent une histoire plus grande », expose les grandeurs et misères de l’ethnographie aux quatre coins du globe, de la découverte de l’Amérique à l’écotourisme. S’inspirant de ces livres anciens qui compilaient et arrangeaient à leur guise des textes et récits de sources diverses, Jean Talon, membre italien de l’Oulipo, dresse non sans humour une galerie d’anecdotes tirées d’une vaste bibliographie où textes sérieux et fantaisistes se mêlent (l’improbable Formose décrite par le Japonais d’opérette George Psalmanazar, dont la prétendue langue ressemble curieusement à l’italien). Toutes tournent autour de la rencontre avec l’autre, ce fameux « sauvage » dont les coordonnées de vie sont si différentes que de fort surprenantes étincelles ne peuvent qu’en jaillir. Ainsi, l’Espagnol Cabeza de Vaca se convertira en sorte de dieu guérisseur parcourant l’Amérique centrale, tandis que le Français René Caillié subira maintes humiliations afin d’être le premier occidental à mettre les pieds dans une Tombouctou finalement décevante. Le Russe Nikolaï Maklaï s’endormira recroquevillé aux pieds de Papous qui découvraient en sa personne l’homme blanc, alors qu’un Patagon devient un vrai dandy anglais ne supportant pas de tacher ses chaussures avant de retourner à sa vie hirsute et dénudée. Un indien Kwakiutl, en voyant un paratonnerre, se demande pourquoi « ils avaient mis un totem dans un endroit aussi peu accessible ». Le très sérieux ethnologue Evans-Pritchard, quant à lui, voit l’objectivité de son étude de la sorcellerie chez les Azandes perturbée par la vision nocturne d’une boule de feu. C’est bien « la stupeur et l’émerveillement » qui intéresse Talon, « avant que l’habitude ne vienne tout normaliser ».
Guillaume Contré
Explorateurs, touristes et autres sauvages, de Jean Talon
Traduit de l’italien par Stéphanie Leblanc, Plein jour, 160 pages, 16 €
Domaine étranger Là-bas si j’y suis
mars 2019 | Le Matricule des Anges n°201
| par
Guillaume Contré
Un livre
Là-bas si j’y suis
Par
Guillaume Contré
Le Matricule des Anges n°201
, mars 2019.