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Égarés, oubliés Sacher-Masoch avait sa photo

mars 2019 | Le Matricule des Anges n°201 | par Éric Dussert

Traductrice majeure du XIXe siècle, Thérèse Bentzon fut aussi romancière, essayiste et même un peu féministe…

On trouvait il y a peu dans un catalogue à prix marqués de la librairie des Amazones – sise sur cour, rue Bonaparte à Paris – le manuscrit d’un conte de Noël intitulé Stella. La notice de la libraire dont la spécialité s’étend à tous les écrits féminins précise que ce texte était un court roman qui avait été publié dans Le Correspondant le 25 décembre 1896. Son récit était saisissant : la veille de Noël une femme vêtue de noir faisait irruption sur une île des Côtes-d’Armor et y déposait une petite fille blonde comme les blés avant de disparaître. La gamine était charmante, la curiosité emporta les îliens qui s’interrogèrent tout de go : ange ou fille du diable ? Et la libraire d’ajouter que la vie de l’île en fut chamboulée. Mais qu’on ne s’inquiète, la date de publication du récit ne pouvait qu’apporter des nouvelles riantes ; la petite fit le bonheur de l’île comme de juste.
L’auteur de ce conte se nomme Thérèse Bentzon, ou plus exactement Marie-Thérèse de Solms, épouse Blanc. Elle est née le 21 septembre 1830 à Seine-Port (Seine-et-Marne) et ne vient à Paris qu’une fois sa prime jeunesse écoulée pour rejoindre sa mère, la comtesse d’Aure, avec laquelle elle vit jusqu’à la disparition de cette dernière en 1887. Elle baigne alors dans une vie mondaine très sélecte qui lui assure des entrées dans les meilleures maisons. C’est ainsi que le philosophe spiritualiste Edme Caro, qui sait la jeune femme versée dans les lettres, lui favorise une entrée à la Revue des deux mondes dont elle devient une figure influente, multipliant les interventions critiques et les créations, militant à l’occasion pour Ouida (Les Petits Sabots).
Elle a commencé très jeune sa préparation d’écrivaine. Dès 1871, elle fait paraître ses traductions de Ouida, de Kipling, des humoristes américains, d’Henry James – qu’on ne lisait guère alors en France –, Howells, etc. Son installation à la Revue est durable. Elle se maintient sous le règne de Brunetière et poursuit son énorme travail : au fil du temps elle est devenue avec Philarète Chasles l’autre grande introductrice des lettres anglo-saxonnes du XIXe siècle, vertu qui ne lui a pas permis d’accrocher mieux que lui son nom aux hautes branches de la postérité… Ses atouts étaient nombreux cependant puisque, à l’instar de Théo Varlet, elle a largement contribué à fournir la librairie française et durant tout le XXe siècle en récits de Stevenson à peu près libres de droits – les éditeurs français adorent. On ne s’est pas souvenu en revanche de ses romans publiés en feuilleton par la Revue des deux mondes, Le Violon Job, Tony, La Vocation de Louise
Essais, nouvelles, articles critiques, elle se lance même dans les études sociales et dans l’étude des modes de vie américains et russes au travers des récits de voyage. En 1894 et 1897 elle entreprend deux périples en Amérique du Nord dont elles ramènent plusieurs volumes qui seront lus attentivement : Notes de voyages : Les Américaines chez elles (1896), Choses et gens d’Amérique, Femmes d’Amérique, etc. Le féminisme n’est plus alors un sujet que l’on peut contourner lorsqu’on est femme de lettres. Appelée par les sujets sociaux, elle s’enquiert du roman social et utopique de Bellamy, se préoccupe du Naturalisme aux États-Unis – qui met en évidence la littérature du plein air, sujet qui nous plaît tant –, des Nouveaux romanciers américains (1885), publie ses propres romans, notamment dans la célèbre « Petite Collection blanche » d’Hetzel à destination des jeunes lecteurs, et poursuit son activité de défrichage des lettres étrangères, assurant ainsi des lecteurs à Vernon Lee, et Mrs Ward, Mary William ou Sarah Jewett, plus tard à Sacher-Masoch dont elle devient la traductrice attitrée. Et elle ajoute à ses pérégrinations un voyage en Russie où elle s’enquiert du sort des femmes… Son féminisme est réel mais très limitatif : elle refuse que certaines femmes occupent des fonctions où elles se « ridiculiseraient ». Nulle n’est parfaite, et Thérèse Bentzon n’est pas toute moderniste. Ainsi jette-t-elle cruellement à La Vie heureuse en 1905 au cœur d’une enquête sur le duel : « Je trouve ridicule les duels qui se terminent par un déjeuner ; les duels sérieux ressemblent beaucoup, j’en conviens, au meurtre. » La sexagénaire n’est pas zen tout à fait.
Quelques mois avant son trépas, l’épouse de Sacher-Masoch lâcha dans les « Mémoires de ma vie » (Mercure de France, juillet 1906), ses vérités sur l’attitude de la notable qui partage sa vie entre Paris et la Côte d’Azur : « Léopold travaillait de nouveau avec ardeur, ce qui était nécessaire, car nous n’avions plus d’argent, vivant presque entièrement à crédit. Nous avions espéré que Mme Thérèse Bentzon, qui, avec un empressement remarquable, continuait à traduire les meilleures nouvelles de Sacher-Masoch pour la Revue des deux mondes, finirait par se décider à faire parvenir à l’auteur une part, même modeste, des honoraires qu’elle recevait. Elle n’en fit rien, et quand Léopold, qui commençait à perdre patience, lui en toucha délicatement un mot elle eut l’audace de répondre que Buloz ne payait pas les jeunes écrivains, qui se trouvaient amplement récompensés par l’honneur de collaborer à la première revue du monde. Même alors, cela nous parut peu vraisemblable ; plus tard, quand Sacher-Masoch se trouva en relations personnelles avec Buloz, nous pûmes nous rendre compte que Mme Bentzon avait impudemment menti. Pour le dédommager de l’absence d’honoraires, elle envoya à Léopold sa photographie. »
Thérèse Bentzon est morte le 5 février 1907. La presse émue souligna immédiatement sa générosité.

Éric Dussert

Sacher-Masoch avait sa photo Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°201 , mars 2019.
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