Rassemblant des poèmes écrits entre 1917 et 1923, Paysages est le seul recueil écrit en roumain de Benjamin Wechsler, né en Moldavie en 1898, et qui publia d’abord sous le nom de B. Fundoianu avant de devenir Benjamin Fondane à son arrivée en France, fin 1923. Poète, dramaturge, philosophe existentialiste naturalisé français en 1938, il contribua à faire valoir la pensée de Léon Chestov avant d’être déporté et de mourir gazé à Auschwitz en 1944.
Né dans un pays en guerre, ce recueil est une « protestation intime contre le paysage mécanique des balles, des barbelés, des tanks ». Voulus pour retrouver une sorte de paradis perdu – « Rien de ce qui constitue la matière première de ce lyrisme n’existait plus » –, ces poèmes, loin d’évoquer une nature intemporelle, porteuse d’une incorruptible beauté, répudient l’attitude romantique ou parnassienne. Fondane ne subit pas l’emprise du paysage. Il contemple mais ne s’identifie pas à la nature, se réfugiant simplement dans des images pacifiques. « Les oies chaussées de jaune, longent d’un pas lent une palissade » ; « les vaches suisses, en blanc tablier, mugissent ». Ce sont comme des photos anciennes qu’il consulterait avec tristesse. Mais face à la pesanteur béate de cet univers dont l’automne est la saison privilégiée – « Le champ est passager et le temps est passager – / les malades blêmes regardent dans la plaine, du sanatorium, // les bâillements des vaches maculés d’attente – la nature devra mourir pour naître » –, Fondane réagit comme s’il était un fantôme contemplant un paysage antérieur. Déchiré entre un monde de quiétude et un profond désir d’arrachement à soi-même, il choisira l’exil avant de comprendre que le poème ne peut être un masque sur un visage laid, mais une force obscure qui précède l’homme et qui le suit.
Richard Blin
Paysages de Benjamin Fondane
Traduit du roumain par Odile Serre, Le Temps qu’il fait, 104 pages, 14 €
Poésie Paysages de Benjamin Fondane
avril 2019 | Le Matricule des Anges n°202
| par
Richard Blin
Un livre
Paysages de Benjamin Fondane
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°202
, avril 2019.