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Intemporels Un réveillon de fous

avril 2019 | Le Matricule des Anges n°202 | par Didier Garcia

En 48 heures chrono, l’Américain John O’Hara (1905-1970) scelle le destin d’un homme. Un roman d’une précision chirurgicale.

Rendez-vous à Samarra

Vous dégoupillez une grenade et quelques secondes plus tard elle explose ; dans un rayon restreint, des hommes sont tués ou blessés. Résultat : cadavres à enterrer, malades à soigner. Veuves, enfants sans pères, parents privés de leurs enfants. Cela déclenche aussi le mécanisme des pensions et développe l’esprit pacifiste chez les uns, une haine durable chez les autres. Au même moment, un homme, hors de la zone de danger, constate le carnage causé par la grenade et se tire un coup de fusil dans le pied. Un autre homme se trouvait là deux minutes avant l’explosion et se met désormais à croire en Dieu ou prend pour fétiche une patte de lapin. Un autre homme voit pour la première fois de la cervelle humaine et met cette vision sous scellés jusqu’à un certain soir plusieurs années après où il se met à décrire ce qu’il a vu, et où l’horreur de sa description éloigne sa femme de lui… »
Qui peut prévoir les conséquences d’un geste ou d’un événement ? Personne, comme le suggèrent les lignes qui précèdent, sur lesquelles le lecteur tombe une dizaine de pages avant la fin du roman. Et Julian English (trentenaire plutôt réglo, du genre « sympathique à bloc »), le protagoniste malheureux de ce Rendez-vous à Samarra, en est la preuve parlante. Presque un modèle en la matière.
Nous sommes en décembre 1930, à Gibbsville, une ville imaginaire de Pennsylvanie (un de ces lieux « ennuyeux comme la pluie tout au long de l’année »). Pour la toile de fond historique, c’est à la fois la grande dépression et la prohibition (laquelle n’empêche pas l’alcool de couler car, comme l’assure Lydia, un des seconds couteaux du roman, elle « ne prohibe absolument rien »). C’est Noël et, comme dans les contes pour enfant, il y a de la neige dans les rues.
La nuit du réveillon, on se retrouve entre gens bien au country club (le genre d’endroit où l’on cultive « la courtoisie mondaine », autrement dit un mélange savant de bonnes manières et d’hypocrisie). En cette veille de Noël, Julian s’y trouve avec sa femme Caroline. Et au cours du bal, au moment où l’orchestre attaque Something to Remember You By, Julian balance son verre de whisky-soda à la figure d’Harry Reilly. Un geste gratuit en apparence, qu’il aurait pu ne pas s’autoriser, d’autant que le glaçon présent dans le verre a terminé sa course dans l’œil d’Harry, ce qui lui vaut un beau cocard.
Tel est le premier acte d’une tragédie que nous sommes loin d’imaginer. Très vite, entre Caroline et Julian le ton monte, l’épouse n’appréciant guère le spectacle que son mari a donné devant l’élite bourgeoise de la ville. Son pressentiment aura le mérite d’être juste : « cette affaire ne va pas passer d’elle-même ni sombrer doucement dans l’oubli ».
Moins de 24 heures après son geste injustifiable, aviné plus que de raison, il quitte le bal de Noël en compagnie d’une chanteuse de cabaret, sous les yeux de Caroline. Leur absence ne dure guère, mais suffisamment pour faire jaser le landerneau. Blesser inutilement son épouse. Et faire de lui « un type dans le pétrin jusqu’au cou ».
Ce deuxième acte sera bientôt suivi d’un troisième, au cours duquel il va se battre contre un homme qui a perdu un bras à la guerre, avant de rouer de coups un avocat. Pour Julian, la coupe alors sera pleine, et il devra la boire jusqu’à la lie (nous n’en dirons pas davantage pour laisser au lecteur le peu de suspense qu’il lui reste).
Le moins que l’on puisse dire est que Rendez-vous à Samarra est rudement bien ficelé (rien qui signale ici qu’il s’agissait du premier roman d’O’Hara, publié en 1934, et aussitôt salué par Hemingway). L’intrigue est d’une précision horlogère, réglée au millimètre près. Du début jusqu’à la fin, c’est délicieux de rigueur et de dosage (à ce niveau-là, on peut parler de maîtrise), car c’est imperceptiblement que nous suivons Julian dans sa chute inexorable.
Son épreuve a les allures d’une tragédie. Elle en serait une si le destin y était pour quelque chose ; or, ici, le destin n’y est pour rien : c’est Julian qui fait son propre malheur. Mais au-delà de la dimension humaine du drame, c’est une autopsie de la bourgeoisie américaine que nous découvrons : celle d’une coterie attachée à ses privilèges (et donc surtout soucieuse de les préserver), qui avoue ne pas aimer les Juifs (les seuls à même de menacer leurs intérêts), qui boit de l’alcool parce qu’elle en a les moyens et au sein de laquelle, pour ne pas devenir un paria (ce que Julian est vite devenu), il convient de respecter les bonnes manières, rendre de menus services à ceux qui ont le pouvoir, et pratiquer la langue de bois. L’autopsie d’une Amérique qui, décidément, ne fait pas vraiment rêver.

Didier Garcia

Rendez-vous à Samarra
John O’Hara
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marcelle Sibon
Éditions de l’Olivier, 288 pages, 22

Un réveillon de fous Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°202 , avril 2019.
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