Jean-Paul Honoré puise dans ses émotions pour écrire. Livre de témoignage et de fiction tout à la fois, Pontée s’inspire d’un voyage effectué en 2006 dans le cadre du Projet Poétique Planétaire à bord d’un porte-conteneurs. Seul passager embarqué (il part de Chine), l’écrivain décrit son odyssée en immersion. Le dépaysement est d’abord dans les mots. Aussières, batayoles, écubier : un vocabulaire pointu décrit le monstre mécanique et son univers fait de gigantisme. Une exigence de précision permanente hisse les descriptions de l’écrivain à la hauteur d’un Jules Verne. Sous sa plume, les machines s’animent. Les personnifications rendent hommage à Hugo et ravivent les souvenirs d’un XIXe siècle industriel. Au cœur de la chaudière, « on aperçoit, primitive, chaotique et furieuse, la gesticulation d’ivrogne d’une flamme ».
Étranger à ce monde qui fonctionne selon des règles absconses, le narrateur tente de s’acclimater. Il vit avec inquiétude ce huis clos psychologique qui incite à l’introspection. Un humour subtil et délicat lui donne la distanciation nécessaire pour faire face à l’immensité du décor. L’intrus y puise un peu de courage pour maîtriser les dangers qui rôdent et promettent la chute au moindre moment d’inattention : « Sur le casque en polymère blanc qui donne à votre crâne la forme d’un œuf, ce serait un terrible coup de cuillère ». Impassible, le cargo de 240 000 tonnes glisse sur les eaux avec « élégance et sauvagerie ». Seule la mythologie semble en mesure de décrire l’emphase du paquebot, et le pont se couvre de « lestrygons ». À échelle humaine, l’apprenti marin tente de profiter du temps qui passe, loin de ses congénères restés à terre, malmenés par une vie frénétique. Il s’émerveille devant la beauté du monde : « le soleil émet dans un ciel rendu confus par la vapeur un souffle humide et rouge, une sorte d’expiration, et la nuit tombe ». En approchant du Havre, le globe-trotter, immobile dans son vaisseau, retrouve peu à peu son environnement. L’inventaire à la Prévert de la cargaison signe la fin prochaine du périple : le voici devenu un loup de mer.
Franck Mannoni
Pontée, de Jean-Paul Honoré
Arléa, 148 pages, 16 €
Domaine français Pontée de Jean-Paul Honoré
mai 2019 | Le Matricule des Anges n°203
| par
Franck Mannoni
Un livre
Pontée de Jean-Paul Honoré
Par
Franck Mannoni
Le Matricule des Anges n°203
, mai 2019.