Voici un ami de plus de trente ans. Aussi lointain que singulier, il donne de ses nouvelles de façon sporadique en ciselant un portrait à la fois en creux et en ronde-bosse d’un personnage qui lui ressemble furieusement. Bougon, emprunté, hypersensible, extrêmement anxieux, un moraliste à sa fenêtre qui surligne l’absurdité du monde. Journaliste sportif, traducteur, Sergi Pàmies est né à Paris en 1960 de parents exilés politiques. Sa mère, Teresa, très engagée à gauche fut une brillante femme de lettres. Son père Gregorio Lopez Raimundo, un leader communiste. Il ne découvre le catalan, sa langue de cœur et d’écriture qu’à l’âge de 10 ans.
Depuis les années 80, des recueils, il en a compilé onze, ainsi que trois romans, tous publiés chez Jacqueline Chambon, le dernier intitulé Chansons d’amour et de pluie (2014). D’amour, il sera ici aussi question : les premiers émois, les rencontres, l’amour filial, la séparation, les non-dits, les mots qu’on dit après et surtout le désamour de soi. Ce trop-plein et cette béance, mélancolie d’un désir perdu, quête désespérée d’une image de soi, d’un bonheur en soi. Treize nouvelles brèves, intenses, d’une fulgurance rare. Flèches acérées de trois à une quinzaine de pages qui visent le cœur et l’âme du lecteur, pointes empreintes d’un curare acerbe et moqueur. Pàmies y instille son humour très catalan mâtiné de non-sens, de capture du réel au pied de la lettre, d’ombres et de lumière, de vanité, un goût particulier de l’exagération, de l’emphase ainsi que d’extrême lucidité, d’autodérision. Un égotisme très proche de l’humour juif new-yorkais. Ajoutez à cela un sens magistral de la formule. La nouvelle « S’il vous plaît » décrit comment son fils débarque chez lui en expliquant qu’il vient tourner un film avec des amis et qu’il souhaite l’avoir comme acteur. Lorsque le fiston lui demande de s’allonger par terre et lui révèle qu’il va être traîné sur l’esplanade par les pieds, le paternel s’enquiert de la façon dont il doit mettre les bras. « Sa réponse ne m’a pas convaincu, mais je ne l’ai pas discutée : “Comme si tu étais mort” ». « Éclipse » introduit le recueil en évoquant la fête d’anniversaire d’un homme de radio. L’auteur-narrateur est subjugué par une femme rencontrée. Il se met à la désirer jusqu’au moment où la personne est happée par un autre invité. En croisant une ambulance, il s’aperçoit que le cadavre qu’elle emporte est le sien. « J’avale une gorgée de vin, plus longue qu’il ne faudrait. Un sommelier y décélérait des notes de désarroi, un arrière-goût de panique et l’adrénaline fruitée de l’expectative. »
« Ebauche de communication pour un hypothétique congrès de divorcés » explique pourquoi les histoires d’amour ne devraient s’interrompre qu’à leur apogée. « Ainsi ils (les amants) s’épargneraient la douleur des renoncements et le châtiment d’interpréter les sentiments comme ce qu’ils sont et non comme un prétexte pour transformer l’affection en répulsion ou en indifférence. » Toujours en associant amour et perte, le recueil élève une forme d’oraison funèbre à ses parents. « Chant de Noël materno-filial » évoque le dernier mensonge proféré à celle qui l’entraîna en littérature. À la fin de sa vie, elle se rend compte qu’elle ne peut plus écrire. Ses fils la persuadent que ses derniers textes seront publiés, tout en sachant qu’il n’en sera rien. À l’adolescence, Sergi Pàmies n’en est jamais arrivé à vouloir tuer son père, « mais en revanche je voulais le blesser ». Dans « Ce n’est pas à moi de te donner des conseils », il se persuade qu’il est le fils de Jorge Semprun que son père avait chassé du Parti communiste. Un magnifique hommage à l’imperméable qu’il portait avec élégance et désinvolture. « Bonus track » boucle et résume le recueil par une chanson, Make Someone Happy de Jimmy Durante. Il en arrive à la constatation contraire, qu’à travers toutes ses nouvelles, il n’a fait que tourner autour de son impossibilité à rendre quelqu’un d’heureux. D’une beauté pathétique !
Dominique Aussenac
L’Art de porter l’imperméable,
de Sergi Pàmies
Traduit du catalan par Edmond Raillard, Jacqueline Chambon, 134 pages, 15 €
Domaine étranger Un roi ironique
octobre 2019 | Le Matricule des Anges n°207
| par
Dominique Aussenac
En treize nouvelles, Sergi Pàmies s’en prend encore une fois à lui-même. Amer jusqu’au burlesque.
Un livre
Un roi ironique
Par
Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°207
, octobre 2019.