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En grande surface Soi-disant Moix

octobre 2019 | Le Matricule des Anges n°207 | par Pierre Mondot

Dans la rubrique « Idées » du Monde – journal franco-tchèque indépendant – en date du 3 septembre, une poignée d’intellectuels charitables propose au lecteur engourdi quelques pistes de réflexion sur deux sujets d’actualité majeurs : page de gauche, on discute de l’antisémitisme de Yann Moix (c’est pas bien), page de droite, on débat autour de la pyromanie du président brésilien (c’est pas gentil). On tenait déjà d’un proverbe africain que la mort d’un vieillard vaut une bibliothèque qui brûle. On sait désormais grâce au quotidien du soir que l’incendie d’une forêt égale un jeune écrivain qui vomit.
Pourtant, lorsqu’au dernier étage de la Matricule Tower on avise la rédaction en chef de nos intentions d’enquêter sur l’affaire, celle-ci maugrée : « N’a-t-on pas déjà tout dit sur le bonhomme ? »
C’est juste. Il y eut ce tapage à la sortie du livre. Le père s’invita dans la presse pour corriger (encore une fois) son fils. Quelques jours plus tard, le frère intervint à son tour, puis la grand-mère. Mais sur le texte lui-même ? Rien ou pas grand-chose. Évacué avec l’eau sale du bain familial.
Réparons cette négligence. Orléans s’organise en deux parties : « Dedans » rend compte des affres de l’univers domestique, « Dehors » des tourments rencontrés dans le milieu scolaire (la violence des cours de récréation, la cruauté des filles de moins de 50 ans). En simplifiant un peu, on dira que dans la première moitié Yann reçoit des gifles avant, dans la seconde, de tendre l’autre joue. La révélation de ces raclées déclencha le scandale. « Tout est faux ! » s’émurent les Moix. « Tout est vrai ! » jura l’auteur (mais pas sur la tête de ses parents). Précisant que s’il avait étiqueté son ouvrage « roman », c’était pour avoir désencombré son histoire de l’existence de son frère (« comme Proust » ajoutait-il satisfait).
Vérité, mensonge, que cette jeunesse martyre ? On n’en sait rien. Mais l’accumulation des châtiments spectaculaires fait basculer assez vite le récit dans l’invraisemblable, confirmant que depuis un millénaire, la ville d’Orléans s’impose comme capitale des rumeurs. Yann abandonné nuitamment dans la forêt solognote pour un caprice nocturne, Yann forcé d’avaler ses excréments pour soigner son encoprésie, Yann balancé à travers une baie vitrée puis roulé dans les tessons… Il y en a un peu plus, je vous le mets ?
On préférera déplacer notre suspicion ailleurs. Par exemple dans ces passages où l’ancien sociétaire des Grosses Têtes cherche à nous convaincre de la précocité de son génie. Ainsi, lorsqu’en CM1, il découvre Gide au hasard d’une promenade à Auchan : « Je pris dès lors cette décision, qui ne me quitterait plus, de descendre en Gide sans reprendre souffle, jusqu’à d’inimaginables profondeurs. » Cette idolâtrie revêt une forme assez délirante : « Je m’enivrais jusqu’à la lie des dates de sa naissance et de sa mort ; ces dates me faisaient vaciller de bonheur » (un syndrome d’Asperger ?). Ou plus loin, quand en classe de cinquième, sa mère réduit en confettis « une pièce en trois actes, intégralement rédigée en alexandrins », accompagnant son forfait d’un hexasyllabe mal coupé : « Petit enculé, va. »
Vrai, faux ? La clef se trouve peut-être au-delà du récit, dans ce que les universitaires nomment le paratexte : « Je remercie Jean-Luc Barré qui m’a suggéré l’idée de ce livre. » D’ordinaire, les entreprises autobiographiques naissent d’un besoin profond, d’une nécessité quasi organique. Pour Moix, on trouve seulement l’idée d’un éditeur.
Voilà pour le fond. Et la forme ? En cette rentrée, le petit Moix s’était appliqué, certain que les jurés du Goncourt se pâmeraient : deux parties de longueur strictement identique (ourlets retouchés), alternance régulière de l’imparfait et du passé simple (col de chemise amidonné, bermuda repassé) rehaussés çà et là par un imparfait du subjonctif (le nœud papillon), usage répété de la litote (pour l’air innocent), le tout ponctué d’aphorismes lumineux : « Nous ne traversons pas le temps ; c’est le temps qui nous traverse. »
Il y a vingt ans, Yann Moix avait déjà publié une autobiographie. Dans Podium, ce personnage qui ambitionnait de remporter un concours de sosie, c’était lui. Son talent se tient dans l’imitation, le transformisme : « disons-le tout net, j’étais un sale plagiaire », confesse-t-il lui-même dans un mélange de lucidité et d’aveuglement (il eût fallu qu’il usât du présent). Comme si son patronyme, ce pronom, le condamnait à une carrière de coquille.
Enfin, dans ce lourd roman où pas un souffle d’air ne circule, l’ancien lauréat du prix Renaudot glisse une étonnante profession de foi : « J’en conclus (…) que rien, sur cette misérable planète, n’était plus dangereux que l’esprit de sérieux. L’ennemi, c’était la gravité ; les deux sens du mot se rejoignent sans effort : la pesanteur et l’absence d’humour ».
Définitivement, Moix est un autre.


Pierre Mondot

Soi-disant Moix Par Pierre Mondot
Le Matricule des Anges n°207 , octobre 2019.
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