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En grande surface Les pieds dans le thrène

juin 2024 | Le Matricule des Anges n°254 | par Pierre Mondot

Romain Chevaillier publie aux éditions Grasset un essai dont le titre interpelle : Les Jeux olympiques de littérature. On croit d’abord à une galéjade, mais non : de 1924 à 1948, les arts prirent place parmi les disciplines olympiques au même titre que l’escrime ou le water-polo. Il n’en faut pas davantage pour que l’imagination s’emballe. On se représente deux poètes sur un ring, engagés dans un combat au meilleur des cinq strophes ; avec au milieu un arbitre, prêt à sanctionner un vers irrégulier ou une rime faible tandis qu’au pied des cordes, une tablée de juges austères enregistre les figures de style comme leurs confrères du patin les Axel ou les Lutz ; et, en haut des gradins, un commentateur s’égosille : « Zeugme ! Zeugme du Français, mais attention le Suisse réagit… Oh ! Incroyable ! Hypallage dans le dernier quatrain ! » Du calme. Car en réalité l’épreuve de littérature consistait seulement en un concours pour le gain duquel chaque participant devait envoyer, six mois avant la compétition, une œuvre en lien avec le sport, sans contrainte de longueur ni de genre. Le jury composé par le baron Coubertin pour les jeux parisiens avait fière allure : Giraudoux, Valéry, Maurras, Maeterlinck, Wharton, d’Annunzio, Lagerlöf. Et cette dream team décerna la médaille d’or au poète franco-belge Géo-Charles pour une pièce de théâtre en vers, Jeux olympiques.
Quel écrivain aujourd’hui pour succéder à ce barde oublié si d’aventure le Comité olympique réintégrait les Lettres dans le programme de ses compétitions ? Un nom s’impose : Laurent Gaudé, triathlonien confirmé (poète-dramaturge-romancier) et champion du genre épique. L’ancien lauréat du Goncourt sort justement un nouveau récit, Terrasses, consacré aux attentats du 13-Novembre. Un choix de sujet étonnant pour un auteur qui jusque-là privilégiait les écrits de fiction et les décors exotiques. La fausse question placée en exergue du livre tente de justifier l’entreprise : « L’Histoire fera le récit des faits. Qui fera le récit des âmes ? » Un « récit des âmes » ? Pareil projet rappelle Jules Romains, au siècle dernier, et l’ambition de l’« unanimisme » : décrire non plus les parcours singuliers, mais les élans collectifs, transformer chaque héros en héraut. Ainsi, les personnages de Terrasses ne sont pas le calque de modèles existants ou ayant existé, mais se présentent comme la concentration de plusieurs témoignages. Des panels davantage que des individus ; des « nous » qui disent « je ». Pour raconter le vendredi treize, Gaudé, auteur inclusif, s’appuie sur des voix féminines : une jeune femme dont l’idylle est empêchée par l’apparition des terroristes (on la retrouve successivement aux trois terrasses attaquées par le commando – c’est la poisse) ; des jumelles qui fêtent leur l’anniversaire et une mère de famille qui se rend au Bataclan après une dispute avec son mari. Les autres protagonistes sont les victimes collatérales du massacre : policiers, pompiers, médecins, standardistes, passants, parents (les terroristes resteront bâillonnés : trop méchants). Des « je » amplifiés en « nous », cette fois. Tous s’expriment à la manière des coryphées du théâtre antique : leurs monologues narrent les évènements en même temps qu’ils les commentent et anticipent sur les faits à venir : « Nous serons bientôt réunis, mais, pour quelques minutes encore, nous ne nous connaissons pas, n’avons rien en commun. » Quelques-uns, probablement des électeurs de Jean Tiberi, communiquent depuis l’au-delà : « Alors je finis par plonger la main dans la poche de mon pantalon maculé de sang et je réponds : “Je suis morte, papa. Ils m’ont tuée et nous ne nous parlerons plus jamais”. » L’auteur d’Eldorado confirme ses talents de charpentier : l’agencement des voix, la progression du récit par cercles concentriques, les jeux d’écho d’un monologue à l’autre, méritent le maximum pour la note technique. On se montre plus circonspect au moment de brandir l’ardoise de la note artistique. Des titres de chapitres (« À la vie, à la mort », « Dernière danse ») jusqu’aux effets poétiques (« Sous leurs pieds, même le trottoir gémit. »), la prose de Laurent Gaudé connaît quelques ratés. Pour dire l’hécatombe, le V13 de Carrère nous semble plus juste et plus efficace : la plupart des survivants se sont exprimés au moment du procès, fallait-il redoubler leur parole ?
« Je t’abandonne mais ce n’est pas ce que je voulais. Je te laisse à ton papa. Qui s’occupera de toi. » ; « Tu ne me caresseras plus. Je ne connaîtrai pas de nouvel été. Je n’aurai pas d’enfant. Je ne dépenserai jamais l’argent que j’ai économisé. Je ne verrai plus mes parents. » : l’accumulation des discours lacrymogènes se révèle pour finir contre-productive. Inutile d’insister, s’irrite le lecteur, vous n’aurez pas ma peine.

Pierre Mondot

Les pieds dans le thrène Par Pierre Mondot
Le Matricule des Anges n°254 , juin 2024.
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