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Traduction Robert Kahn

janvier 2020 | Le Matricule des Anges n°209

Journaux, de Franz Kafka

Comment arrive-t-on en « Kafka-land » ? Chaque lecteur aura sa propre réponse, et aussi chaque traducteur. Il faut qu’il y ait là un « Wunsch », du désir. J’ai rencontré pour la première fois les textes de cet auteur juif de Prague qui écrivait en allemand (on trouve souvent dans des dictionnaires la mention « écrivain tchèque », alors que Kafka n’a été « tchèque » que pendant les cinq dernières années de sa vie) au lycée Jean-Moulin de Forbach, en classe de seconde. Il fallait traduire un extrait du « Messager impérial ». L’expérience m’avait beaucoup plu. Adolescent, j’ai lu une grande partie de l’œuvre, dans les seules traductions disponibles à l’époque, celles d’Alexandre Vialatte et celles de Marthe Robert. Ce n’est qu’après son entrée dans le domaine public que les textes, surtout ceux des romans, ont été retraduits par Bernard Lortholary, Georges-Arthur Goldschmidt et d’autres. Pour les Journaux, livre essentiel qui mêle introspection diaristique et textes fictionnels, observation d’autrui, réflexions philosophiques, fiches de lecture, dans un ensemble vertigineux qui contribue à donner raison à W. H. Auden lorsqu’il écrit que « Kafka est l’auteur le plus représentatif du XXe siècle », il n’existe à ce jour qu’une seule version intégrale en français, celle de Marthe Robert, publiée en 1954 et reprise avec quelques révisions en 1984 par Claude David pour « La Pléiade ». Il était temps de reprendre le travail. Mais pourquoi ce « Wunsch » ?
Ce n’est pas tout à fait un hasard si les grands penseurs de la modernité et de la catastrophe ont été de fins lecteurs de Kafka : Benjamin, Deleuze, Derrida… Poser l’énigme qui tisse notre vie est un devoir de lecture. Outre ce motif général, je m’intéresse personnellement à l’univers des Juifs ashkénazes, présent dans toute l’œuvre de manière cryptique, mais clairement exposé dans les « Journaux ». Et l’immense question de la mystique… J’ai bien sûr fait le pèlerinage de Prague, qui, malgré la folie touristique, offre encore beaucoup de moments authentiques, comme la visite à l’immeuble de « l’Office de protection contre les accidents », aujourd’hui un grand hôtel. Je lis depuis plus de vingt ans tout ce qui paraît sur mon auteur-fétiche dans les trois langues que je connais, les biographies (celle de Reiner Stach s’impose), les excellents catalogues des Archives littéraires de Marbach, les volumes de la « Kritische Ausgabe » chez Fischer… Une petite folie : j’ai pu acheter le fac-similé du manuscrit de Das Schloss. La graphie de Kafka me fascine avec ses pleins et ses déliés, l’insistance sur la lettre « K ».
J’ai commencé par traduire les lettres écrites à Milena, puis les Derniers cahiers. Il était ensuite logique de passer aux « Journaux », dont les neuf cents pages m’ont requis sur une assez longue période. Outre le fait qu’on puisse estimer nécessaire de reprendre le texte original après soixante-cinq ans, pour corriger de menues erreurs inévitables (Goethe fait servir à Voss, son ami affamé, non pas « un os » mais « un gâteau » : il s’agit d’une erreur de lecture de Max Brod sur le manuscrit : « Kuchen » et non « Knochen »), des problèmes de compréhension : la phrase finale du « Le Malheur du célibataire » se lit, sous la plume de Marthe Robert : « quand il meurt le cercueil est tout juste à sa mesure », ce qui est ambigu. Je propose : « lorsqu’il meurt, le cercueil lui va tout à fait ». Il faut aussi tenir compte des changements de paradigme intervenus dans notre conception de la littérature et des sciences humaines depuis les années 50 : Marthe Robert traduit systématiquement « Schreiben » par « littérature », ou « œuvre littéraire » alors que je choisis « écriture », ou « écrire ». Il y a donc ce fait majeur : le texte de Kafka a changé. En effet, les éditeurs universitaires ont rétabli un manuscrit qui avait été largement modifié par Max Brod. Censure de certains textes jugés immoraux ou obscènes (la rencontre avec un érotomane célèbre), noms de personnes éliminés, fiches de lecture non-reproduites ou traduites à partir de la version anglaise, et mauvaise datation des textes. À cela s’ajoute la pratique très problématique de l’insertion ou non des textes de fiction dans la version due à Marthe Robert et Claude David. Les « Journaux » ne font pas de différences, encore une fois, entre la fiction et l’auto-observation, le compte rendu et le commentaire des événements quotidiens. Les douze cahiers et la liasse contiennent Le Verdict, le premier chapitre du Disparu, le début de La Colonie pénitentiaire, les « Souvenirs du chemin de fer de Kalda » etc. J’ai choisi de suivre strictement l’ordre et le contenu de l’édition critique, en retraduisant bien sûr tous les textes « fictionnels ».
Parfois l’édition critique modifie complètement le sens même du texte. Il en va ainsi de la célèbre maxime : « sortir du rang des assassins ». Or, Kafka a écrit, à la date du 27 janvier 1922 (je traduis) : « le bond hors de la file meurtrière acte-observation, acte-observation, par la création d’une sorte supérieure d’observation ». C’est-à-dire qu’on passe d’une remarque d’ordre éthique bien frappée mais assez banale, à une remarque éthico-épistémologique dont l’interprétation est difficile.
Un exemple de dilemme qui se pose au traducteur : le mot « yiddish » n’est pas très présent dans le texte original, car Kafka utilise souvent le terme de « jargon » – ce qu’est effectivement cette langue d’un point de vue technique. Il m’a semblé qu’il fallait, malgré une éventuelle connotation négative, conserver le terme de Kafka, aussi pour faire « résonner dans la langue l’écho de l’original », comme l’écrivait Benjamin, et donc ne pas le remplacer par « yiddish ».
La langue elle-même pose peu de difficultés, comme l’ont souligné d’autres traducteurs. Il s’agit d’un allemand précis, à la syntaxe claire, bien ordonnée, à ceci près que certains passages sont illisibles ou brusquement interrompus dans le manuscrit. Mais, au bout du compte, ce qui reste du désir de traduction, ce que j’espère transmettre, c’est le plaisir infini de la lecture-relecture. Attendre ensemble le « Messager impérial », alors que le soir tombe.

* Journaux de Franz Kafka (816 pages, 35 ) paraît le 17 janvier aux éditions Nous.

Robert Kahn
Le Matricule des Anges n°209 , janvier 2020.
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