Entre juin et octobre 2011, la journaliste Susana Moreira Marques accompagne plusieurs personnes en fin de vie, dans le cadre d’un programme de soins palliatifs à domicile, dans la province de Trás-os-Montes, au nord du Portugal. Durant cinq mois, elle va de village en village, y rencontrant leurs habitants en proie à une solitude et un dénuement frappants. « Notes de voyage sur la mort », la première partie de l’ouvrage qui en découle, s’empare de la fin de vie d’une manière morcelée, éparse. Entre définitions, descriptions, scansions et récits, le texte ressemble à une prise de notes pleine de pudeur autour de la mort. « Manuel de survie » : « 1 – Arrêter. Écouter battre le cœur. Regarder les cerisiers sauvages chargés de fruits. 3 – Faire des gens des personnages. 4 – Ne pas cesser de pleurer les personnages. » Tour à tour maintenue à distance, fouillée, observée, dénigrée, crainte et moquée, celle qui est le sujet même du livre passe vite au second plan. Entre froide verbalisation de notions médicales (comme l’agonie, la conspiration du silence, qui consiste à mentir au malade, ou encore le palliatif) et invocations religieuses (qui, telles des formules magiques susceptibles de protéger pour toujours celles et ceux que l’on voudrait retenir avec nous, en appellent au miracle), la nature printanière s’impose avec une force infaillible. En opposition à la maladie qui gagne du terrain, les hirondelles et le vert des vallées s’affirment chaque jour un peu plus. Enfin, parmi ces fragments hétérogènes, quelques narrations anonymes se glissent, évoquant des êtres attachants que l’on devine sur le point de disparaître et la vie qui continuera sans eux.
Ces dernières introduisent la seconde partie de Maintenant et à l’heure de notre mort, consacrée à trois portraits, chacun composé d’un parcours pour ainsi dire romanesque suivi d’un monologue intime. Tout d’abord, l’histoire déchirante de Paula, une jeune mère condamnée par un cancer généralisé, qui porte sa famille jusqu’au bout. Puis João et Maria, un couple d’octogénaires qui regardent passer les journées sous leur porche, tandis que leurs souvenirs d’Angola, où ils possédaient jadis une exploitation, remontent. Le passé colonial, synonyme de violence, de labeur et d’usurpation, apparaît avec toutes ses rancœurs et ses regrets. « Ils ont le sentiment d’avoir perdu pour l’histoire une partie de leur identité et que la vie ne comporte plus de défaites que la mort n’en a jamais eues. » Enfin, Elisa et Sara, deux sœurs ennemies endeuillées, privées de leur père, se confient. « Il nous a toujours appris à savoir où on est – à danser, mais en étant sûres de l’endroit où on met les pieds. »
La pauvreté de ces êtres inaudibles, qui s’éteignent dans un silence opaque, surgit en toile de fond. Ces campagnes semblent oubliées des politiques publiques, reléguées dans un territoire lui aussi condamné à mourir à petit feu. Entre traditions ancestrales, fervente piété et culture de la terre, l’on découvre, par le biais d’observations émouvantes et de témoignages authentiques, une aire laissée à l’abandon, peuplée d’habitants aux destins palpitants (« elle me faisait penser à un personnage qui n’aurait pas encore trouvé sa narration »). Égarés dans une attente infinie, éternels résistants, ils se tiennent droit jusqu’à la fin, quelle qu’elle soit. L’ouvrage de Susana Moreira Marques leur rend un hommage tout sauf sordide, pétri d’admiration, de respect et de chaleur.
Camille Cloarec
Maintenant et à l’heure de notre mort,
de Susana Moreira Marques
Traduit du portugais par Elisabeth Monteiro
Rodrigues, Éditions do, 144 pages, 16 €
Domaine étranger Écouter battre les cœurs
janvier 2020 | Le Matricule des Anges n°209
| par
Camille Cloarec
Livre hybride, Maintenant et à l’heure de notre mort est une réflexion sensible et délicate sur la maladie, l’isolement et celles et ceux qui restent. Un ouvrage étonnamment lumineux.
Un livre
Écouter battre les cœurs
Par
Camille Cloarec
Le Matricule des Anges n°209
, janvier 2020.