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Égarés, oubliés Un grand dictionnaire

janvier 2020 | Le Matricule des Anges n°209 | par Éric Dussert

Emblématique de la jeunesse de 1968, la jeune Dominique Proy cherche sa voie dans la prose, les rencontres et le mouvement.

Un beau jour de janvier 1968, Dominique Proy apparaît, comme ça, au sommaire des Cahiers du Chemin. La revue de Georges Lambrichs est alors toute nouvelle : c’est sa deuxième livraison. Quant à Dominique Proy, c’est la jeune première du numéro. Sa prose, « Banlieue de l’être », trône en tête du numéro où elle bat le rappel de Michel Foucault, Pierre Pachet ou Michel Butor qui lui succèdent gentiment.
L’irruption de Dominique Proy dans le monde des lettres est à l’image d’une époque qui, contrairement à la précédente, peut enfin se préoccuper de sa jeunesse et lui accorder, faute de guerre dispendieuse, le fruit des efforts collectifs en matière de confort et de loisirs. Dominique Proy appartient à cette génération qui va dans quelques semaines dévisser les boulons de la bienséance. Dominique est née sous le prénom de Marie-Noëlle le 25 avril 1940 à Paris. Sa mère travaille au ministère de l’Instruction publique, son père est commercial aux Papeteries Navarre. Le temps passé, elle se souvient de l’immense quantité de beau papier blanc qui occupait toute une armoire de la famille – c’était le papier sur lequel on tirait les exemplaires de luxe des livres d’alors. Et ça n’est pas le seul luxe de son existence de petite fille : son grand-père maternel est le secrétaire général du Muséum et dispose à ce titre d’un logement de fonction (sans salle de bains, précise-t-elle) : elle bénéficie d’inépuisables promenades dans le Jardin des Plantes. Après des études à Sainte-Marie de Neuilly où elle éprouve un gros décalage social en y fréquentant les petits de la « Haute », elle obtient son bac littéraire en 1957 et enquille un nombre incertain de séances de khâgne où Gilbert Spir l’initie à la propédeutique, de Sciences Po, et de Sorbonne où le latin la plonge dans un grave marasme. Elle rate finalement le concours de l’École normale et se marie dans la foulée, en 1961. Fin du premier acte.
Deuxième acte : après avoir reçu un refus de Jean Paulhan pour son premier manuscrit (« trop d’adverbes ») qui relate ses émois d’adolescente, elle publie son roman L’Envahie, toujours sous la marque de Lambrichs, dans sa collection « Le Chemin ». Elle l’a écrit allongée sur le gazon du jardin d’éden de son pavillon de Villeneuve-Saint-Georges (elle a d’abord vécu à Caen où son mari est mécanicien pour l’armée de l’air) après avoir ressenti un fort sentiment d’identification générationnelle avec Le Clézio. Le succès n’est pas vraiment au rendez-vous, même si Les Temps Modernes retiennent plusieurs de ses textes par la suite. Son éditeur, qui maintient ses invitations à participer à ses « mardis » rue du Pré-aux-Clercs – sa rayonnante beauté et son aimable personnalité y auraient manqué –, ne daigne plus s’intéresser à sa littérature. Au fil du temps, Marie-Noëlle se sent tout de même trahie, lâchée. Aux déjeuners du Chemin, elle côtoie cependant Nathalie Sarraute (« une grande bourgeoise qui avait trois bonnes ! »), Dominique Rolin et aussi Marianne Alphant, qui a rédigé pour elle la prière d’insérer de son Envahie. Fin du deuxième acte.
Ensuite, plus d’activité littéraire publique. Marie-Noëlle devient professeur de yoga (au noir) puis rédactrice en chef de la revue universitaire Dialogue Recherche destinée aux conseillères conjugales. Ça n’est pas un poste banal. Mais Marie-Noëlle Mathis n’est pas banale, non plus que le hasard qui nous fait la retrouver au sortir de la lecture de son roman dans une enquête du sociologue Édouard Gaède de 1968. Là, passée à la question sur ses mobiles, ressorts et aspirations, la jeune femme joueuse porte tout à coup une étonnante pronostication pour l’année 2018. C’est une réponse relative à ses espoirs de notoriété : « Dans 50 ans, dit-elle, les gens commenceront à comprendre ce que je voulais dire. Malheureusement, dans 50 ans, personne ne me lira plus… à moins que je ne continue d’écrire jusque-là (après tout, je n’aurai que 78 ans). »
De fait, si elle n’écrit plus qu’un peu de poésie, Marie-Noëlle/Dominique n’est plus lue du tout dans son exercice en prose où sa douce impertinence, assise sur sa culture de lectrice et sur une transparente évocation de son existence et de son moi, racontait son époque. Venant de « La banlieue au contraire », qui n’était pas encore un grand Paris, elle vouait à la capitale une importance cruciale : « Aller à Paris n’est pas rien (…) je suis une barbouilleuse d’espace, moi il faut que ça se déploie, sur des pavés et sur des macadams, dans des métros, des visages, des magasins, des cafés où je n’entre jamais ».
Plusieurs personnages masculins traversent son récit, Le Padre, Tonnerre de Dieu, et dans un patchwork de moments émotionnants ou amusants, elle décrit sa vie comme les jeunes écrivains continuent de le faire, plantant les jalons d’une histoire sociologique et, parfois, littéraire. « Tout ça à cause d’un vieux stylo retrouvé qui a lâché les grandes eaux. Votre écriture même est houleuse et sans frein, et ressemble à une écume matérielle et mouillante plutôt qu’à une série de signes : vous aimez les plumes molles, et vives, vous éprouvez le plaisir de l’échine qui obéit et se redresse, élastique et fringante, comme un jonc sous le vent, ou les reins d’un noir d’étincelle du chat qui se prête à la paume et au moment où il aime ça se met précisément à fuir – se dérobe au moment de se rendre. Dieu seul sait de quoi j’ai envie. »
Joueuse, fiévreuse, étourdie et hésitante sur les voies à suivre, la jeune Dominique Proy avait néanmoins perçu l’essentiel : « Le monde est un grand dictionnaire vous savez. »
Éric Dussert

Un grand dictionnaire Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°209 , janvier 2020.
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