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Traduction Raphaëlle Pache

février 2020 | Le Matricule des Anges n°210

Autochtones, de Maria Galina

J’ai découvert Maria Galina en 2016, quand, à la demande de Nadège Agullo, directrice des éditions du même nom, j’ai lu son roman SES-2 (que j’allais traduire ensuite sous le titre de L’Organisation), afin de lui donner mon avis dessus. Mon enthousiasme a été immédiat pour cette prose dont chaque page pétille de l’intelligence malicieuse de son auteure, où le fantastique, loin du grand-guignolesque, se pare d’ironie et de poésie.
Après ce premier contact, je me suis mise à explorer la bibliographie antérieure de Maria Galina et à guetter ses nouvelles parutions. Et quelque temps plus tard, j’entends parler d’Autochtones sur le site d’une blogueuse américaine spécialisée dans la littérature russe, où elle explique que « Galina tord et mêle polar et fantastique avec des mythes locaux, auxquels elle adjoint un personnage qui arrive dans un endroit inconnu en étant apparemment une page blanche, ce qui s’avérera erroné ». Et cette même blogueuse d’ajouter qu’elle a éprouvé le besoin de lire Autochtones dans une semi-pénombre parce que sa lumière habituelle ne lui semblait pas adaptée à pareille lecture.
Des faux-semblants, un livre aux ondes si puissantes qu’elles obligent le lecteur à changer ses habitudes… Il y avait de quoi mettre l’eau à la bouche. Alors quand, en 2018, Maria Galina est venue à Paris avec la délégation d’auteurs russes invités au salon Livre Paris, et m’a fait l’immense joie de m’offrir ce fameux Autochtones, je n’ai pas tardé à l’ouvrir. Et tant pis pour la pauvreté de ma comparaison, mais j’ai eu l’impression d’entrevoir un univers qui résonnait de mille préoccupations, mille images chères à mon cœur, nombre d’entre elles étant à l’origine de mon intérêt et de ma fascination pour la littérature russe. Quand, quelques mois après, les éditions Agullo ont décidé de publier le livre, je n’ai plus seulement entrevu cet univers, j’y ai déambulé pendant plusieurs mois.
Il ne m’est pas arrivé souvent de traduire un livre dont non seulement les thèmes et les idées me parlent, mais dont les images et les ambiances font écho aux paysages intérieurs qui peuplent mon imaginaire. Autochtones se déroule dans une petite ville des confins est-européens (même si elle n’est jamais nommée, il semble bien qu’il s’agisse de Lviv), chargée d’histoire et de souvenirs sous forme de collections diverses, d’immeubles et de monuments plus ou moins décrépits, de mémoires hasardeuses, de récits à la véracité douteuse, de restaurants et autres troquets pittoresques, le tout sous l’incessant ballet des flocons et une lumière crépusculaire qui se teinte aisément d’angoisse. Et puis, comme dans tout récit fantastique qui se respecte, on pense y croiser des créatures étranges : Juif errant, sylphe, loups-garous…
Mais on « pense » seulement les croiser, car Maria Galina n’est pas auteure à adhérer platement au folklorique. Aussi combine-t-elle chez ses personnages des traits banals, triviaux ou dérisoires avec les qualités surnaturelles que sont l’immortalité ou une nature suprahumaine, afin de les rendre crédibles, si paradoxal que cela paraisse. Son roman fantastique à suspense se double d’une critique férocement désabusée du régime soviétique en particulier et des tyrannies en général, et se triple d’un roman métaphysique renvoyant à un vaste réseau de références qui vont de Paracelse à l’art contemporain.
Maria Galina est un esprit érudit, ironique et poétique qui tire son lecteur vers le haut, compte sur son intelligence, sa sensibilité, son attention aux détails, aux échos et à la lettre du texte. Les versions contradictoires qui nous sont données des mêmes événements et les médisances de certains autochtones sur d’autres amènent le lecteur à douter constamment de ce qu’il découvre et qu’il n’est jamais certain de saisir la vérité.
De ce point de vue, la traductrice des Autochtones occupe une position privilégiée, étant, du fait de son métier, obligée d’accorder au texte une attention dont, en tant que lectrice, elle n’aurait peut-être pas été capable. Ainsi en va-t-il du réseau des reprises, des références et autres échos dont Maria Galina a malicieusement tissé son roman pour lui donner la cohérence intrigante qui est la sienne. Il m’a fallu percevoir et rendre le soudain dédoublement du texte qui indique une citation ou une allusion à un autre passage du livre, sans pour autant rompre le fil de la narration. J’ai dû chercher à préserver toute la poésie dont Maria Galina nimbe chaque évocation urbaine, une bourrasque ou un envol d’oiseaux, sans l’amoindrir ou détonner avec l’ironie prégnante dans sa description des autochtones.
Dans ce roman-ci, par la vertu d’une mise en abîme assez vertigineuse, l’enquête du protagoniste qui doit déchiffrer pas à pas les signes d’un univers mystérieux figure celle que j’ai effectuée sur les signes que sont les mots : mise en doute systématique, rapprochements, comparaisons, hypothèses et vérifications… Et puis, plus généralement, cette enquête annonce celle du lecteur. Car Autochtones est un roman qui, pour cette raison même, se lit et se relit et devrait, si le travail de traduction est bien fait, offrir chaque fois de nouveaux éclaircissements à son lecteur, à l’instar du texte original.

Raphaëlle Pache a traduit entre autres Anna Starobinets, Vladimir Lortchenkov, Yana Vagner, Mariam Petrosyan. Autochtones (380 pages, 22 ) vient de paraître aux éditions Agullo.

Raphaëlle Pache
Le Matricule des Anges n°210 , février 2020.
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