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Domaine étranger L’insolent Soudan de Baraka Sakin

mars 2020 | Le Matricule des Anges n°211 | par Catherine Simon

Transgressif et truculent, Les Jango brosse le portrait d’un pays multiple.

De ce pays-continent, le Soudan, alias le « pays des Noirs », vaste comme un rêve, mais souvent réduit à ses tragédies, jaillissent, de temps en temps, des surprises, des lumières, des bouffées d’espérance. Ce fut le cas, en 2019, lorsque des manifestations populaires, à Khartoum et ailleurs, provoquèrent la chute du général-président Omar el-Béchir – aujourd’hui en prison. On se rappelle les images des foules en liesse, transmises via internet, et de ces femmes, à peine voilées, chantant et dansant pour encourager la révolte, bravant les militaires. Tout à coup, le Soudan nous disait autre chose, à nous, Européens, que le cauchemar du Darfour et de ses milices janjawids ou qu’un refrain d’Alain Souchon. Et puis, au bout de quelques jours, le rideau est tombé. Jusqu’à la prochaine brèche.
En attendant, pour ceux qui veulent, il reste Abdelaziz Baraka Sakin, dont le deuxième et réjouissant roman traduit en français, Les Jango, vient d’être publié chez Zulma. Ou Mansour El-Souwaim, auteur des formidables Souvenirs d’un enfant des rues, traduit chez Phébus, en 2012. Plus quelques autres, sans doute, qu’on découvrira un jour, si le Dieu de l’édition se décide à les faire traduire. Le Soudan (ses langues et ses peuples) continue à grandir et pousser dans les livres. Comme tout le monde – ou presque.
Le nom de Jango, métaphore du prolétariat rural, donne son titre au livre. Ces Jango sont des rebelles-nés, contraints de trimer comme saisonniers pour survivre, mais prompts à la révolte, adorant l’alcool, le sexe, les vêtements tape-à-l’œil et les fables qu’on se raconte, la nuit et le jour, puisque la vie n’est rien d’autre que le récit qu’on en fait. Ainsi de Safia, dont le corps devient celui d’une hyène dès qu’elle commence à faire l’amour : « Au moment même où j’ai posé la main sur son corps nu (…), le pelage a poussé sur son corps, un pelage noir, dru et hideux (…), il poussait à une vitesse surprenante, puis ce fut au tour des traits de son visage de se modifier, ses crocs sortirent, elle émit un rugissement et me sauta dessus comme un lion féroce sur sa proie », raconte l’ami du narrateur, qui a eu l’imprudence de s’isoler, un soir, avec elle. À al-Hilla, ville-Babel de l’est soudanais où se situe l’histoire, les rumeurs vont bon train qui assurent que l’impressionnante donzelle « en a un comme les mecs, un peu plus gros même, style la moitié de celui d’un âne ». Quel récit croire, idem, concernant l’élégant Wad Amouna (le fils d’Amouna), l’un des principaux personnages des Jango ? De lui, on sait qu’il a grandi en prison, à Gedaref, aux côtés de sa mère. Il est un homme qui se rêve femme – cela ne choque personne. Sans parler d’Abrahit Wolde Ishag, le « musulman juif », d’Alam Gishi, prostituée éthiopienne, qui a fait perdre sa virginité au narrateur énamouré, ou de Moukhtar Ali, qui choisit son heure pour aller s’asseoir sous « l’Arbre de la Mort » et y « perdre sa sérénité », autrement dit de passer de vie à trépas !
Transgressif, truculent, politique, le roman de Baraka Sakin brosse le portrait d’un Soudan multiple. C’est une ode à la liberté. Les préjugés y sont pulvérisés avec un humour méthodique, qu’il s’agisse des frontières du genre, de la religion ou du rapport à l’Étranger. Quant au gouvernement de Khartoum, qui « ne manquait pas d’expérience en matière de guerre civile, ayant combattu ses propres citoyens depuis l’Indépendance jusqu’à ce jour », il est traité comme il se doit : une dictature obscurantiste, corrompue et violente. Qui a sa horde de contremaîtres et d’exécutants : contre eux, s’abat – dans le roman, du moins – une éphémère « révolte de la merde », qui sera durement réprimée.
Publié en 2009 dans sa version originale, Les Jango a reçu le prix Tayeb Salih, l’un des plus prestigieux du monde arabe. Le régime d’Omar el-Béchir ne s’y est pas trompé : censure oblige, les romans d’Abdelaziz Baraka Sakin sont condamnés à circuler sous le manteau. Quant à l’auteur, né en 1963 dans la région de Kassala, il a dû s’exiler en Autriche.
Catherine Simon

Les Jango, d’Abdelaziz Baraka Sakin
Traduit de l’anglais (Soudan) par Xavier Luffin, Zulma, 352 pages, 22,50

L’insolent Soudan de Baraka Sakin Par Catherine Simon
Le Matricule des Anges n°211 , mars 2020.
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