L’Insomniaque est une aventure au long cours. Carine Lacroix en a commencé l’écriture en 2006. Depuis, elle a passé le texte à la moulinette comme elle le dit, sans jamais pouvoir l’oublier au fond d’un tiroir. La pièce lui résiste longtemps et ne cesse pourtant de l’interpeller. Comme une matière incandescente. Comme une nuit blanche. Ce texte invente une société futuriste. Et surtout une héroïne, Iso, qui semble tout droit sortie d’une bande dessinée d’Enki Bilal. Iso a les cheveux bleus, elle est presque nue, sa peau est pâle, elle a une large cicatrice sur la cuisse où est écrit le mot oiseau en arabe. Iso danse. Histoire de devenir volatile. Et a des insomnies. Le temps s’égrène dans sa chambre et dans ce monde-là, le temps parle.
Iso est née « après l’Année sans été. Après les éruptions qui couvrirent la terre d’un voile opaque et toxique. Soleil caché, hiver volcanique. Un plan d’urgence planétaire fut voté à l’unanimité. Chaque pays dut se mettre au service du redressement sanitaire, alimentaire et énergétique. Nettoyer les herbes, les racines, les artères, les poumons. Laver l’eau. Récurer l’horizon. Sous un ciel de particules, la Rééducation s’enclencha. » Qui dit rééducation dit surveillance et contrôle.
Dans cette société futuriste, la sécurité et la protection de la santé passent avant la liberté. L’Insomniaque résonne singulièrement aujourd’hui avec la pandémie du coronavirus. Dans l’univers imaginé par Carine Lacroix, la moitié des hommes font l’amour sans se toucher. Et chacun a un crédit santé. Ainsi, à 11 ans, comme pour tous les enfants, une puce biomédicale est implantée dans le corps d’Iso. Elle permet tous les dépistages possibles, tout est analysé, des ovules au sommeil. Un sommeil qui ne doit comporter aucun rêve. Puisque dans ce monde les rêves ont bien sûr disparu. Mais Iso, sans rêve, se sent coupée d’elle-même. Alors à l’adolescence, elle va vivre la nuit qui devient une poche de résistance. Elle rencontre Rân, un pirate de haute voltige, avec son lézard cyborg. Et entre en résistance pour retrouver les rêves.
La lecture de ce texte donne grandement l’envie de voir Iso s’incarner sur scène, pour se confronter à l’énergie de sa danse, de ses mots et de ses nuits blanches.
L. Cazaux
L’Insomniaque, de Carine Lacroix
Quartett, 96 pages, 11 €
Théâtre Conquérir ses rêves
juillet 2020 | Le Matricule des Anges n°215
| par
Laurence Cazaux
Un livre
Conquérir ses rêves
Par
Laurence Cazaux
Le Matricule des Anges n°215
, juillet 2020.