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Domaine étranger Guérilla d’amour

juillet 2020 | Le Matricule des Anges n°215 | par Thierry Cecille

En un récit vibrant d’émotion, au cœur secret de la Rome des années de plomb, Goliarda Sapienza clôt son Autobiographie des contradictions. Réédition

Les Certitudes du doute

Il arrive que le succès d’un livre fasse, dans une œuvre, de l’ombre à ceux qui ont poussé à ses côtés. L’Art de la joie, que Goliarda Sapienza mit quelque dix années à écrire, fut enfin édité après sa mort – et lui valut une célébrité internationale. On peut cependant préférer à ces six cents pages, pleines de romanesque, qui composent un éloge sensuel de l’émancipation féminine, ses textes plus franchement autobiographiques, tout aussi vivants mais plus tenus. Le Tripode nous avait déjà permis de lire L’Université de Rebibbia (voir Lmda N°148) : sous ce titre quelque peu provocateur, Goliarda Sapienza évoquait avec force son expérience de la prison pour femmes de Rebibbia. Condamnée pour un vol dérisoire, elle y rencontrait des co-déténues surprenantes, les unes effrayantes et d’autres admirables, dont elle nous offrait des portraits pleins d’attentive humanité.
Ce récit prend donc la suite de cette œuvre : Goliarda a été libérée, elle survit économiquement grâce à différents travaux un peu hasardeux de journaliste, de correctrice d’épreuves. Se rendant au palais de Justice de Rome pour écrire un article sur un procès pour viol, un rire l’arrête : « Une année n’est pas passée depuis que j’ai entendu pour la dernière fois ce rire, à la fois enfantin et rauque, qui est le sien, et pourtant c’est comme si les modulations de cette voix sortaient d’un passé si lointain qu’il donne des frissons de peur supraterrestre. C’est Roberta ! Je réalise, ma camarade de la cellule 27, mon premier domicile fixe à Rebibbia ! » À partir de ces retrouvailles qui la bouleversent, Goliarda – et le lecteur à ses côtés – rejoint Roberta aux rendez-vous impromptus qu’elle lui donne, parcourt avec elle une Rome labyrinthique, parfois obscure et souterraine, parfois en proie à un « soleil narcotique » et semblable alors à une « vieille chatte paresseuse et sournoise ». Le secret, cependant, est souvent de mise, une menace plane : même si elle se dit maintenant anarchiste, Roberta fut proche des Brigades rouges, connut la prison dès l’âge de 14 ans et ce n’est pas sans quelque souriante forfanterie qu’elle précise : « tu le sais que j’ai au moins quatre procès dans les pattes, dont un pour association en bande armée ? » Un peu comme dans Nadja où l’on ne peut s’empêcher de partager la fascination d’André Breton pour cette femme belle et libre, belle de sa liberté, nous ne pouvons ici que nous émerveiller de cette figure exceptionnelle, être de révolte et d’enthousiasme mêlés. Goliarda aime Roberta d’un amour à la fois extrêmement sensuel, attentif aux moindres mouvements du visage et du corps, et chaste : seuls quelques étreintes et quelques baisers parfois mêlés de larmes uniront fugitivement les deux femmes.
Alors que Goliarda a presque quarante ans de plus que Roberta et qu’elles s’amusent parfois à jouer en public les rôles de la mère attentive et de la fille imprévisible, elles se sentent semblables car toutes deux « élèves de la grande université carcérale ». La complicité, la compréhension est entre elles si forte que Goliarda en arrive à la nommer « ma sosie ». Elles haïssent et combattent la « dégradation sociale  » dans laquelle plonge l’Italie d’alors, elles veulent – et Roberta, elle, même par la violence sanglante si nécessaire – échapper à la « colonie pénitentiaire » qu’est devenue la société conformiste, consommatrice effrénée de plaisirs frelatés. Goliarda Sapienza, ici, rejoint certaines analyses de Pasolini – et a peut-être en partage avec lui ce qu’elle appelle son « organisme préindustriel ». Mais jamais cependant la rancune envers le sort, jamais la rancœur ne peut l’atteindre. Elle sait faire preuve de cet humour « congénital » qu’elle attribue aux Romains, moquant ainsi « le chasse-angoisse, doute ou douleur que sont les cigarettes » pour elle en certaines occasions. Elle sait être attentive au monologue quelque peu célinien d’un chauffeur de taxi, « telex-artère-coeur toujours battant de la ville ». Elle enregistre avec passion les accents et les traces dialectales, le « romanesco de bas étage », toutes les inflexions d’une langue encore charnelle.
Lorsque Roberta tombe amoureuse d’un mafieux « léonardesque », Goliarda la voit « comme refleurie » et ne cède pas à la jalousie. Mais cet amour fera long feu : l’histoire, violente, rattrape ces « Candides du XXe siècle ». Comme cela fut le cas pour Nadja devenue folle et internée, rendre hommage s’impose alors : « C’est cela que Roberta voulait de moi ? Renaître littérairement, personnage vivant dans un livre ? Je ne sais pas, – mais je n’ai plus qu’à me jeter dans le vide en retournant à elle, la recherchant, me rendant enceinte de son image et la laissant mûrir en moi, la nourrissant constamment jusqu’à ce que, enfin modelée, elle puisse passer des ténèbres à la lumière : Roberta, mon enfant. » Thierry Cecille

Les Certitudes du doute, de Goliarda Sapienza,
traduit de l’italien par Nathalie Castagné,
Le Tripode, 198 pages, 11

Guérilla d’amour Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°215 , juillet 2020.
LMDA papier n°215
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