La paire de journalistes dépêchés par Paris-Match questionne l’artiste sur son confinement : « Carla et moi étions au Cap Nègre ; je me suis installé dans mon bureau et j’ai commencé à travailler. Carla m’a demandé : “Qu’est-ce que tu fais ?” Je lui ai répondu : “J’écris un livre.” Elle a souri en me disant : “Décidément, tu ne peux pas rester inactif.” » On pourrait croire à un extrait de Paludes, mais non, il s’agit bien d’une tranche de la vie conjugale radieuse des Bruni-Sarkozy. Et quand plus tard Nicolas – quatre consonnes et trois voyelles – lui dévoile son titre, Le Temps des tempêtes, dans la paronomase duquel éclate tout son génie poétique, on peut imaginer que son épouse se pâme. Écrivain et chef d’État, mamma mia, exactement comme Havel ou Mandela. Parce que chez ces gens-là, monsieur, on ne converse pas, monsieur. On se rengorge.
Mais la chanteuse franco-italienne n’est pas seule à s’esbaudir de l’incroyable talent de son mari. Le livre connaît dès sa sortie un succès inattendu : deux cent mille exemplaires écoulés en trois semaines. Et la tournée promotionnelle organisée le long des plages du sud de la France attire les foules. Devant les librairies où l’idole est annoncée, dès potron-minet, de longues cohortes de rombières masquées stationnent dans l’espoir d’un contact avec le grand homme.
Dans l’ouvrage qu’elles s’apprêtent à lui faire signer, l’ancien président revient sur l’incipit de son quinquennat. Cette mandature, t’en souvient-il ? Nous sommes en juin 2007, assez loin dans le monde d’avant : Steve Jobs vient à peine d’inventer l’iPhone et à la sortie du conseil des ministres, le gravier élyséen crisse sous le pas de personnalités aussi disparates que Christine Boutin, Bernard Kouchner ou Rama Yade.
Tout à sa joie d’avoir enfin récupéré les agendas confisqués par les juges, Nicolas Sarkozy entreprend de nous rafraîchir la mémoire en commentant les différents événements de cet an 1. Et les séquences politiques de ces douze premiers mois s’enchaînent selon l’ordre chronologique, séparées par de simples astérismes. Ici, il négocie le traité de Lisbonne, là, il envoie des infirmières bulgares exfiltrer Cécilia de sa geôle (ou c’est l’inverse ?). L’inventaire apparaît quasiment exhaustif : alors que commence le récit des traditionnelles grèves de novembre, l’écran de la liseuse affiche déjà 70 %.
Sans surprise, l’ancien maire de Neuilly se montre satisfait de son action au sommet de l’État. Il a sauvé la Géorgie des griffes de Poutine, les banques européennes de la crise financière et convaincu Michel Polnareff de revenir chanter au pays. Bien sûr, il regrette d’avoir insulté un quidam au Salon de l’agriculture, mais parmi la foule de ses semblables, qu’un seul se lève et lui dise, s’il l’ose : « Je fus meilleur président que cet homme-là. »
Comment, dans ces conditions, expliquer l’échec de 2012 ? Facile, par la versatilité légendaire du peuple français : « Ainsi, ils ont aimé l’aspect bourgeois d’Édouard Balladur avant de s’en exaspérer. Balladur n’avait pas changé. Les Français, si. Ils ont aimé mon dynamisme avant de s’en inquiéter. Je n’avais pas changé. Les Français, si. Ils ont apprécié la normalité de François Hollande avant de la détester. François Hollande n’avait pas changé. Les Français, si. »
Hollande. Le bonhomme l’obsède. Lui, président ? L’anaphore n’est pas digérée. Nicolas Sarkozy aimerait incarner le vieux lion retiré de l’arène politique, examinant l’actualité avec hauteur et impartialité, de Gaulle à Colombey, mais malgré ses efforts, l’amertume pointe à chaque page. Nico ressasse. En plus, l’autre prend un malin plaisir à lui casser ses jouets. L’Union pour la Méditerranée, par exemple : « Je ne sais toujours pas s’il le fit pour continuer son œuvre de “table rase” de tout ce que j’avais réalisé, ou si, plus simplement, il ne se sentait pas à la hauteur d’un tel défi. » Un plouc, un beauf, tout juste bon à amuser la galerie « avec ses petites blagues ». Rien à voir avec lui, qui entre deux négociations avec nos partenaires européens, médite devant une photo de Johnny : « Il m’arrivait, en pleine nuit, lors des pauses (…) de regarder avec nostalgie l’image de mon ami. » Ou qui rit comme un bossu lorsque le portugais Barroso, quelques jours après le coming out de Disneyland, l’interpelle : « Si Carla a une sœur, pourrais-tu me la présenter ? »
L’homme a l’art de retourner les compliments. Il trouve Ségolène Royal agitée, Kouchner bling-bling, Cohn-Bendit narcissique et confus. Quant à Bayrou, il a « toujours trahi ceux qu’il a choisis ».
L’endroit le plus sombre est sous la lampe, dit le proverbe chinois, et l’exécution d’une entreprise autobiographique réclame toujours une forme de dédoublement. Ainsi, Jean-Jacques juge Rousseau, Nathalie ausculte Sarraute, Sartre dissèque Poulou… Qui célèbre ici les exploits de Nicolas ? Aucun doute, c’est Paul Bismuth.
Pierre Mondot
En grande surface Le contentement
septembre 2020 | Le Matricule des Anges n°216
| par
Pierre Mondot
Le contentement
Par
Pierre Mondot
Le Matricule des Anges n°216
, septembre 2020.