La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Domaine étranger Génération Vietnam

octobre 2020 | Le Matricule des Anges n°217 | par Thierry Guichard

Avec Retour à Martha’s Vineyard, Richard Russo confirme qu’il est une voix majeure de la littérature américaine. Maître dans l’art de narrer, l’écrivain insuffle une profonde humanité à ses personnages.

Retour à Martha’s Vineyard

S’ils étaient des vins, les romans de Richard Russo seraient classés du côté des plus belles appellations. Profonds, amples, fluides et sans défauts ils semblent issus d’une tradition romanesque à laquelle le Vieux Continent a contribué. Si l’artisan est bon et connaît son métier (il a longtemps enseigné la littérature à l’université), il ne met pas son savoir-faire au service du marché des best-sellers. Comme l’était avant lui Le Déclin de l’empire Whiting (prix Pulitzer 2002) par exemple, Retour à Martha’s Vineyard ne tient pas seulement sur une intrigue (formidablement déroulée) mais déploie un très vaste terrain de jeu pour la réflexion, la pensée, l’émotion. À ce niveau l’artisanat s’appelle de l’art.
Il est probable que l’île de Martha’s Vineyard au large du Massachusetts soit aux USA ce que Saint-Tropez est à la France. C’est sur cette île que la jet-set a l’habitude de venir en vacances l’été, ainsi d’ailleurs que les présidents américains… Pour autant ce n’est pas dans ce monde huppé que le roman de Russo nous introduit par le biais de trois sexagénaires venus passés quatre jours sur l’île. Lincoln Moser (fils d’un tonitruant Wolfgang Amadeus) est agent immobilier et y débarque pour mettre en vente la maison héritée de sa mère. Teddy, qui le rejoint, est un universitaire directeur d’une maison d’édition catholique. Mickey, troisième mousquetaire, joue du rock dans les bars. Tous les trois se sont connus à Minerva College, à la fin des années 60, ont assisté ensemble au tirage au sort des circonscrits que les USA envoyaient lors au Vietnam faire une guerre que leur génération dénonçait. Tous les trois, surtout, sont tombés amoureux de Jacy qu’ils aiment encore quarante-quatre ans après sa disparition en 1971.
Les trois « mousquetaires » ne s’étaient pas retrouvés dans la maison de l’île depuis l’été 1971 durant lequel ils étaient venus fêter la fin de leurs études en compagnie de Jacy. Le roman ne cesse de faire l’aller-retour entre 2015 et ce moment où la vie des trois hommes a bifurqué, choisissant la voie la plus traditionnelle (mariage, enfants, petits-enfants, carrière) pour Lincoln, et une voie similaire, le mariage et les enfants en moins, pour Teddy quand Mickey a fui au Canada pour échapper au Vietnam où le sort l’envoyait.
C’est leurs derniers jours ensemble, tous les quatre, et chacun des hommes, secrètement, attend que Jacy fasse le pas qui le désignerait, amoureux aussi transit que platonique secrètement prêt, chacun, à s’engager auprès d’elle.
Ces quelques jours de l’été 1971 ont peut-être été pour les trois garçons l’acmé de leur jeunesse. C’est avec le souvenir de ces instants qu’ils reviennent à Martha’s Vineyard. Avec leur deuil aussi. Partie la première de la maison, Jacy a été signalée disparue quelques jours plus tard par sa famille et son fiancé qui ne l’ont plus jamais revue. Jacy aurait-elle été violée puis tuée et enterrée quelque part dans l’île ? Le voisin de Lincoln, réputé violent, ne l’aurait-il pas enlevée et tuée ? Le roman va tisser son intrigue et doubler l’enquête que Lincoln mène quarante-quatre ans plus tard par un formidable portrait d’une Amérique qui se cherche sous les trop nombreuses couches de mensonges dont elle s’est nourrie depuis Nixon… C’est là où Richard Russo excelle : dans l’épaisseur de la fiction où chaque détail vient nourrir à la fois la psychologie très incarnée des personnages et la sociologie d’un pays où les codes tentent de cimenter le socle fissuré de son histoire. Passé maître dans les descriptions y compris celle des figurants (« Son père était grand, mais squelettique, un être humain fait de coudes, de genoux et de peau fine. Sa pomme d’Adam semblait avoir été empruntée à un homme beaucoup plus costaud et ses vêtements ne lui allaient jamais »), le romancier excelle aussi dans des dialogues qui, avec fluidité, font voir la scène, son décor et au-delà même, la manière de penser de chacun. Très réaliste, le monde que l’écriture déploie n’est jamais plat : la profondeur de champ dispose des détails qui viendront révéler leur importance, des seconds rôles débordant d’humanité, et réussit à saisir, magistralement, le temps qui passe et qui éloigne chacun de ce qu’il aurait pu devenir.
Aucun candidat à l’écriture romanesque ne devrait ignorer Richard Russo pour peu qu’il ambitionne de faire des fictions qui se tiennent, auxquelles croire. Quant au lecteur, gageons que la lecture de Retour à Martha’s Vineyard lui donnera l’impérieux désir d’aller goûter maintenant les autres millésimes.

Thierry Guichard

Retour à Martha’s Vineyard,
de Richard Russo
Traduit de l’américain par Jean Esch,
Quai Voltaire, 377 pages, 24

Génération Vietnam Par Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°217 , octobre 2020.
LMDA papier n°217
6,50 
LMDA PDF n°217
4,00