Après avoir publié son remarquable roman L’Aviateur, voici un opus résolument cosmopolite d’Evgueni Vodolazkine, qui va chercher à l’autre extrémité du globe la ville de Brisbane pour en faire le fantasme lointain et le symbole de son récit.
Une double construction en miroir préside à la narration. D’abord Gleb Ianovski, guitariste de renommé mondiale, face à Sergueï Nesterov, surnommé Nestor, célèbre écrivain russe qui lui propose d’écrire sa biographie ; ce qui permet au musicien soudain confronté à la maladie de Parkinson de revoir l’enfant qu’il était, et de prendre conscience de son ascension de concertiste, en un touffu roman de formation. Ensuite la rencontre de Véra, qui attend une transplantation du foie, pianiste adolescente ukrainienne et déjà virtuose, le renvoie à son initiation musicale et à la question de la transmission.
Les voix, les narrateurs, les lieux et les époques alternent, entre Paris, Saint-Pétersbourg et Berlin, entre 1971 et 2014. Si, lors de l’apprentissage, « les ratés techniques étaient l’inévitable sacrifice à la beauté », buter sur un trémolo à l’apogée de sa carrière est l’annonce d’une fin programmée. Alors que le concert brillantissime de Véra est hélas un adieu.
Riche d’aventures, de péripéties familiales, d’amours et de déceptions, jusqu’au meurtre, de tendresse et non sans humour, le roman captive, résonnant sans cesse du goût passionné de la musique, de l’opéra Eugène Onéguine aux romances, quoique la conclusion soit douce-amère : « La musique idéale c’est le silence ». C’est une émouvante et vaste élégie aux personnages pleins de reliefs, dont l’interrogation métaphysique essentielle est celle de la force de l’art devant la mort.
Thierry Guinhut
Brisbane
Evgueni Vodolazkine
Traduit du russe par Anne-Marie Tatsi-Botton
Éditions des Syrtes, 336 p., 23 €
Domaine étranger Brisbane, d’Evgueni Vodolazkine
octobre 2020 | Le Matricule des Anges n°217
| par
Thierry Guinhut
Un livre
Brisbane, d’Evgueni Vodolazkine
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°217
, octobre 2020.