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Poésie Requiem des délaissées

mars 2021 | Le Matricule des Anges n°221 | par Emmanuelle Rodrigues

Dans Les Seules, Claire Genoux nous relate la troublante étrangeté d’existences recluses. Un chant vibrant qui n’en demeure pas moins tourné vers la beauté du monde.

Les Seules charrie, tel un fleuve déversant ses éboulis de terre et d’eau, sa part de souffrance et d’humanité. La façon dont corps et conscience s’entrechoquent, Claire Genoux nous le narre avec une rare justesse. Sous sa plume, voilà évoquée la violence exercée à l’encontre de femmes, et les mots qui la nomment, explorent ce qu’il s’en dégage de tension, de suffocation, d’altération. D’un excès de désastre, de solitude, de désolation, des voix brisées s’élèvent unissant leur parole qui en devient salvatrice : « CE TROP/ de l’enfance/ qui coule/ cet ornement/ ce long/ canal/ d’éboulis/ en nous c’est ravalé/ nous entrons dans la/ douleur/ -nous tenons là/ un fleuve ». Les Seules nous livre sensations et émotions réveillant peur, angoisse, trauma, maltraitance, au point de faire rejaillir des éclats de violence aussi inquiétants que fascinants. Tel un chœur antique, une pluralité singulière s’adonne à un lamento à la tonalité tragique : ce nous sans cesse invoqué fait retentir son cri de douleur, laissant ainsi entrevoir une vision sombre et absurde de l’existence humaine. Sont-ce là des spectres, des ombres, des corps à l’agonie ? Quels lieux sont ici décrits : camp de concentration, asile, prison, orphelinat ? Quel théâtre de la cruauté s’y révèle ? Claire Genoux donne chair à ces êtres qui nous adressent leurs ressouvenirs, fulgurances de leur scène intérieure. Ainsi, peut-on lire les fragments imagés de leurs illuminations : « Alors s’en vient la nuit/ on jette tout/ les tissus/ les silences/ des poignées de terre/ sèche qui/ cognent contre de l’air/ jaune ». Et plus loin : « Nous arrachons à/ la terre des/ doubles-fonds/ d’immenses couvertures/ et des pentes/ des petits oiseaux/ pour coucher sur elle/ nos oreilles/ nos ventres/ comme de vraies Mortes ».
Tout un champ lexical lié au corps, à la sexualité, donne lieu à l’évocation d’une dépossession de soi, d’une aliénation et d’un désir de déprise : « Il y a longtemps que/ nous n’avons/ plus de larmes de/ têtes à nous/ et surtout nous/ souhaitons vieillir/ durer/ loin du monde ». C’est qu’il s’agit peut-être par-delà le dérèglement du langage, de s’arracher à ce qui défigure l’apparence du monde pour à nouveau s’y mouvoir librement. Du moins, mettre à distance la pulsion mortifère et regagner ainsi une part de sa psyché, laisse le champ libre à l’imaginaire quand bien même encore lieu d’un ressassement fantasmatique : « DIRE/ -mal dire/ tant pis avancer/ d’abord la tête/ aller voir ». Et dire, ce serait encore ne pas mourir : « mourir est-ce/ que-dites-le/ est-ce qu’un/ ciel/ reste allumé au fond/ est-ce que/ c’est étanche est-ce/ que/ ça commence/ n’importe où (nous/ voulons dire dans/ le corps) que ça/ s’ouvre au-dessus de/ rien du tout/ avec une pierre/ au front ce bain/ brûlant de cendre ».
Toute la force qui se déploie dans Les Seules tient à cette manière de retraduire dans le corps du texte une part de ce qui s’altère, disparaît, et dont nulle trace ne témoignerait plus sinon. Ce qui ressort de cette suite de poèmes, c’est leur pouvoir d’évocation : ces bribes de paroles n’en demeurent pas moins assourdissantes comme autant d’échos d’une déflagration intérieure. Les Seules décline des voix imaginaires, des voix échappées d’un monde qui n’en comporte pas moins une part d’abîme. Ces orphelines finissent par n’en former presque plus qu’une, et leur parole s’allège pourtant de toute gravité : « au revers du monde/ (dans un au-dessus de/ Soi)/ avec un effort régulier/ incomplet/ -l’air pèse tant/ oui parfois/ nous/ Respirons ». D’une matière complexe et riche, Claire Genoux (née en 1971 à Lausanne) parvient à construire avec une cohérence remarquable tout un réseau d’images évocatrices, et par cette geste mémorielle, elle rend hommage aux plus anonymes, aux plus oubliées, à qui elle redonne une histoire.

Emmanuelle Rodrigues

Les Seules
Claire Genoux
Éditions Unes, 136 pages, 21

Requiem des délaissées Par Emmanuelle Rodrigues
Le Matricule des Anges n°221 , mars 2021.
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