Aborder un thème difficile avec légèreté, sans avoir la main lourde dans le choix des couleurs sombres, est un art difficile. Didier da Silva y parvient pourtant et sans effort apparent dans cette brève fiction qui nous raconte, pour ainsi dire, une histoire de fantôme japonais. Le jeune Masao, qui n’a guère plus de 25 ans, « une nuit de lundi à mardi dans une banlieue paisible », met fin à ses jours dans son petit logement. « Entre l’instant où il perd conscience pour toujours et celui où il reprend pied, renouant avec ses pensées, un quart de seconde s’est écoulé » : le voici devenu spectre, âme libérée de son corps mais pas nécessairement en peine, puisqu’il est « enfin hors d’atteinte, il en est sûr, de tout désagrément physique ou spirituel ». C’est donc une sorte d’errance que nous suivons, la sienne, le temps que son corps soit reconnu à la morgue par ses parents effondrés, puis ramené dans sa province natale pour être incinéré et éparpillé sous forme de cendres qui se confondront avec l’océan. Masao, mort, libre et léger comme l’air, enfin débarrassé de ce poids indéfinissable qui l’oppressait – un mal-être que l’auteur, pudique, se garde bien de trop expliquer –, se fait pierre et eau, oiseau et insecte. Libéré de la matière et de la pesanteur, il devient une plaque sensible aux émotions des autres – son meilleur ami, sa fiancée, sa famille, un inspecteur de police mélancolique – sans en souffrir lui-même. Mais la vie de fantôme, sans doute brève, « si près de disparaître », puisque liée à la corruption du corps auquel elle est rattachée, n’en est pas moins solitaire : « sa solitude dans ce monde-ci est aussi complète que dans l’autre ; il y a des choses qui ne changent pas ». Les milliers de fantômes qui certainement peuplent le monde ne se croisent jamais, si ce n’est durant les trois courtes minutes du crépuscule, au moment où le soleil va disparaître à l’horizon. Ainsi, par touches délicates, Didier da Silva construit un récit de deuil qui ne manque pas, paradoxalement, de lumière.
Guillaume Contré
La Mort de Masao
Didier da Silva
Marest, 144 pages, 17 €
Domaine français La Mort de Masao
mai 2021 | Le Matricule des Anges n°223
| par
Guillaume Contré
Un livre
Par
Guillaume Contré
Le Matricule des Anges n°223
, mai 2021.