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Domaine français Fait d’hiver

juin 2021 | Le Matricule des Anges n°224 | par Etienne Leterrier-Grimal

Virginie Troussier, revient sur le « drame du Frêney », l’une des grandes catastrophes de l’alpinisme. Et convertit les faits bruts en un beau récit tragique sur l’amitié.

Au milieu de l’été, un invincible hiver

Le 9 juillet 1961, deux cordées d’alpinistes entament simultanément la première ascension de la voie sud du Mont-Blanc par le pilier central du Frêney. L’une, italienne, inclut Walter Bonatti, Andrea Oggioni, Roberto Gallieni. L’autre, française, regroupe Pierre Mazeaud, Pierre Kohlmann, Robert Guillaume et Antoine Vieille. Arrivées au refuge, les deux cordées n’en forment plus qu’une pour réaliser une première. Ciel au beau fixe. Joie. Conquête. Ils sont sept, ils ont tous entre vingt et la trentaine.
Virginie Troussier, elle, n’était pas née à l’époque de l’expédition. Journaliste et romancière, elle est passionnée de montagne et a aussi pratiqué le ski en compétition avant de se tourner vers l’écriture. Difficile, avec ce bagage, de résister à la tentation de rouvrir la voie de ce qu’elle appelle « le drame du Frêney », relaté à l’époque par toutes les chaînes et les magazines d’Europe.
Au milieu de l’été survient en effet l’impensable : cinq jours de tempête en plein juillet, et la neige et la foudre qui clouent pour plusieurs jours la cordée sur un balcon suspendu sur l’abîme, à 4500 mètres. Des sept partis le 9 juillet, seuls trois retrouveront les secours, une semaine plus tard. Virginie Troussier fait de cette catastrophe un vrai sujet de littérature, dont elle fait ressortir la part tragique. C’est un pur fatum, implacable comme de la neige tombant en juillet, qui condamne irrévocablement les alpinistes. C’est un dilemme : faut-il profiter d’une accalmie pour gravir les quelques dizaines de mètres qui promettent encore la victoire ? Risquer la mort en s’attardant trop ? Redescendre ? Et l’épopée de la conquête se changera alors en épopée du retour, infernale odyssée où la mort chaque mètre, prend son dû chez les « sept naufragés ». Même l’espace est tragique : la pureté du granit intouché et les cieux étoilés alpins convoquent le souvenir des calcaires blancs éblouissants et du bleu des rives antiques, où se brisent aussi les rêves de ceux qui ont voulu monter trop haut.
À tel sujet s’attache une langue d’une sobriété souvent minérale, le présent d’une narration qui relate, jour après jour, la semaine de l’expédition, inventorie avec minutie les objets, les gestes, les mots, les couleurs et les odeurs, dit la mécanique des cordes et « l’odeur ferreuse du sommeil ». Mais au-delà des faits documentés, Virginie Troussier veut aussi « prendre le risque de s’aventurer en zones immergées » pour raconter ce que rescapés ou journalistes n’ont pas dit. Les pensées, les désirs, « les champs magnétiques de la peur », l’exaltation de la beauté, de l’exploit, le goût de la vie et surtout pourquoi, malgré les dangers, l’on persiste à monter : « La montagne nous caresse, nous secoue, nous désespère, nous emporte. Elle nous renvoie à nos enfers, mais nous élève bien au-dessus de nous ». Une affinité organique, entre l’homme et le rocher, chair et pierre, qui se cristallise dans des images récurrentes de dissolution : « les corps s’imbriquent dans le granit, abîme contre abîme. Dans la paume de leurs mains se dessine la rature des astres. Ils comptent leurs os, se regardent, ils sont en train de se dissoudre ». Escalader : c’est mourir, c’est vivre.
Par conséquent, le récit s’érige donc aussi en allégorie. En lisant les terribles instants ultimes où, succombant les uns après les autres, les alpinistes tentent de maintenir l’espoir ou la vie par un regard, par une parole de soutien, on comprend aussi ce qui peut pousser à remettre cette histoire en récit : continuer à tisser cette même corde que celle qui a réuni Pierre Mazeaud, Walter Bonatti et leurs coéquipiers, cordée intemporelle du langage, du courage, de l’amitié, dans laquelle ce récit tient désormais sa place.

Etienne Leterrier-Grimal

Au milieu de l’été, un invincible hiver
Virginie Troussier
Paulsen, 112 pages, 19,50

Fait d’hiver Par Etienne Leterrier-Grimal
Le Matricule des Anges n°224 , juin 2021.
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