Ce sont quelques mots, à peine une phrase, isolés sur une page et accompagnés de gravures « à l’eau-forte ». Le joli nom de ce procédé de gravure pourrait aussi bien désigner Décroissance sexuelle, un puissant objet plein de subtilités. Au cours d’une résidence à Montréal, Julie Delporte a invité vingt-quatre femmes, amies et inconnues, à parler de sexualité, de traumatismes et de guérison collective. Elle en a recueilli et imaginé des phrases qu’elle a affichées sur des panneaux dans les rues de la ville : « vous reprendrez votre honte », « nous cherchons un pouvoir autre que celui de séduire ». Avec très peu de mots donc, l’ensemble dégage une force poétique à la limite du manifeste. Proche de certains collages féministes mélangés à l’univers du conte, l’illustratrice jeunesse a composé ce qui ressemble à un poème où la tendresse est louée contre la pornographie et la reconquête des désirs défendue contre leur capitalisation : « je ne fais plus l’amour, mais je marche en forêt ». Se dessine un nouveau modèle de sexualité et d’appar- tenance sexuelle, peu importe le genre puisqu’elle est à la fois « une femme un homme une fougère un oiseau ». Un imaginaire collectif hanté par les violences faites aux femmes et par l’hétéro- normativité, où l’on croise dans les bois « les femmes disparues ». Les gravures en noir et blanc ont le tremblé de l’enfance associé à un univers onirique sombre, végétal et parfois joyeux.
Face à la phrase « je suis désormais ma propre exploratrice », on découvre le dessin d’une femme dont les bras et les mains, tels des arbres ou des plantes, sortent de son sexe. Le « je » de l’expérience individuelle cède rapidement au « nous » et à son implacable constat, « nous avons été violées ». Un « nous » qu’il faut aussi entendre comme un appel à la sororité : « nous sommes les nonnes contemporaines les nouvelles punks », contrechamp possible au « elles » des Guérillères de Monique Wittig, entièrement écrit à la troisième personne du féminin pluriel. S’inscrivant dans l’héritage de la romancière et philosophe, Julie Delporte conclut : « nous sommes les guérillères les dernières survivantes ». Les femmes ne sont plus seules mais rassemblées pour construire « des cabanes où guérir ». Dire le traumatisme ne serait pas suffisant, il faut encore « nous » protéger. Julie Delporte n’écrit pas seulement pour les femmes et avec les femmes. À la toute fin du livre, elle note : « Je les ai écrites au féminin parce que je souhaitais que celui-ci l’emporte, pour cette fois du moins, sur le masculin. Puissent les survivants s’identifier comme ils peuvent, car je ne les oublie pas. »
Flora Moricet
Décroissance sexuelle,
Julie Delporte
L’Oie de Cravan, 64 pages, 16 €
Textes & images La guérison des guérillères
juillet 2021 | Le Matricule des Anges n°225
| par
Flora Moricet
« je ne fais plus l’amour, mais je marche en forêt ».
Un livre
La guérison des guérillères
Par
Flora Moricet
Le Matricule des Anges n°225
, juillet 2021.