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Textes & images Dans un miroir et par énigme

juillet 2021 | Le Matricule des Anges n°225 | par Jérôme Delclos

Sylvain Piron enquête sur Opicino de Canistris (1296-1355) : un sublime livre graphique, comme un Rorschach pour nos émotions.

Dialectique du monstre

Enquête sur Opicino de Canistris
Editions Zones sensibles

Il arrive qu’un livre d’exception, venu d’on ne sait où, nous tombe dessus comme un fragment de météorite, et à le considérer on se demande ce que c’est, de quoi il est fait, et par quel prodige il nous commotionne et nous émeut. Et l’on sait d’emblée que l’on tient là, plus qu’un objet de papier une matière vivante, une sorte d’animal qui nous interroge dans une langue inconnue mais qui étrangement nous touche. C’est ce que font, bien qu’hermétiques, les cartes, les dessins, le journal d’Opicino de Canistris. Un prêtre du XIVe siècle, érudit, génie de l’enluminure et de la cartographie. Quoi d’autre ? D’abord un médiéval, un homme qui vivait, en Italie puis à Avignon, il y a sept siècles. Sylvain Piron nous donne accès à lui, dans un livre d’une rare beauté.
Dans un chapitre de Collection de sable, « Le voyageur dans la carte », Calvino mentionnait Opicino : « Cas extraordinaire d’art brut et de folie cartographique, Opicinus ne fait que projeter son propre monde intérieur sur la carte des terres et des mers ». À lire Piron, on réalise que c’est plus compliqué. C’est que cette formule de Calvino, la simple projection de l’intériorité d’un artiste ou d’un cartographe fou, donne une piètre idée de l’entreprise. Comme si l’on disait qu’Artaud, Aby Warburg, Jérôme Bosch, « ne font que » projeter, etc. Si l’on n’a pas les clés pour comprendre un peu, voire beaucoup, l’époque et le monde d’Opicino, le diagnostic tombe à plat. Au fait, Opicino, fou ou mystique ? Piron nous prévient contre les anachronismes : « La ligne de crête sur laquelle il faudra se tenir est étroite. Il est impossible d’ignorer l’existence de ces troubles (…)  ; pour autant, il faut admettre que nous ne pouvons en obtenir qu’une connaissance imparfaite. (…) Il y a une raison de fond à cela, indépendante de l’avancée des savoirs. (…) les psychoses sont, pour ce qui est de leur expression, des maladies culturelles ».
L’histoire de la découverte de l’œuvre par le cercle Warburg, ses rebondissements et polémiques, ses interruptions puis ses reprises, ne peut se résumer. Auteur d’une quinzaine de traités dont deux seulement nous sont parvenus, l’auteur ne nous parle que par son autobiographie, et par ses cartes et dessins. Piron tresse les textes d’Opicino, ses cartes, et son propre commentaire, dans une composition très inventive. Le 31 mars 1334, Opicino est victime d’une maladie qui le laisse en avril prostré et « mezzomorto » comme disent les Italiens : « pendant le tiers de ce mois, je fus presque mort ». Il en réchappe et bien que diminué physiquement produit une œuvre inclassable, cartes de la Méditerranée où les lieux se mirent les uns dans les autres, où les mondes se superposent, se déplacent sur les lignes d’une géométrie qui emprunte à la cartographie marine apprise à Gênes, à l’astrologie, et à un allégorisme qui sort de la bibliothèque religieuse et savante autant que de l’imagerie populaire, ainsi de la Tarasque provençale. Au cœur de ce fatras, la confession, l’écriture de soi : « Ma main droite est faible pour les choses temporelles, forte pour les spirituelles ».
Opicino cartographie son univers, l’histoire de sa vie, sa foi : « Toute créature visible, témoignant du créateur, est un livre visible qui nous indique la vérité », écrit-il. Tout lui est, lui fait signe dans le miroir du visible, « l’escabeau » qui mène à Dieu. Ou à la guérison. C’est la « dialectique du monstre » nous dit Piron : « le drame psychique fondamental de la culture, dont les réalisations ne viennent au jour qu’en surmontant un chaos originaire, dont elles laissent cependant affleurer la trace ». Et nous, dans tout ça ? Dans sa postface à l’édition italienne (trouvable sur Internet), Piron évoque la « structuration émotionnelle » d’Opicino : « Nous n’avons face à nous que les images qui en sont issues. Elles fonctionnent comme un test de Rorschach, dans lequel chaque lecteur peut retrouver l’écho de ses propres drames, à proportion de l’intensité des tensions qui y sont projetées. Voilà ce qui se passe dans ces dessins, et dans la circulation infinie qu’ils ouvrent entre eux et nous ».
Faites le test. Ça marche, et parfois même ça secoue.

Jérôme Delclos

Dialectique du monstre
Enquête sur Opicino de Canistris,

Sylvain Piron
Zones sensibles, 221 pages, 26

Dans un miroir et par énigme Par Jérôme Delclos
Le Matricule des Anges n°225 , juillet 2021.
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