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Domaine français Proust en carnaval

juillet 2021 | Le Matricule des Anges n°225 | par Thierry Guichard

Ébouriffant et drôle, le nouvel opus de la série des Chino est une course d’obstacles syntaxique sur le champ de la mémoire intime et universelle. Une partition de virtuose.

Chino, c’est grosso modo, Christian Prigent en enfant (confronté à la matière plus qu’à sa représentation dans le langage et faisant l’expérience de perdre l’une au profit de l’autre). C’est aussi, adulte, l’alter ego du même, habitant d’une mémoire qu’il va narrer comme Schéhérazade, le fil de la narration maintenant peu ou prou le souffle de la vie.
On démarre avec Chino au jardin comme un cycliste de VTT au sommet d’une montagne bretonne, qu’il va falloir dévaler pronto pronto sur un chemin semé de bosses (du genre dures à avaler), des virages temporels si serrés qu’ils mettent 1957 et 1914 dans la même phrase, des Charybde et des Scylla qui vous font une odyssée burlesque à chaque épisode. Ça file vite côté syntaxe, de phrases nominatives en citations latines, de néologismes guignolesques en chansons idem. Le cycliste-lecteur se retrouve parfois le cul par terre, virage raté, obligé de reprendre plus haut le chemin qui l’a expulsé. Qu’importe, le plaisir est là fait de jouissances répétitives, quand les inventions langagières brinquebalent la lecture jusqu’à l’image épiphanique dont la puissance d’évocation met la bouche béante.
Mais même semé d’embûches, de flash-back introduits par de vieilles photos, le chemin déploie des résonances multiples aux accents plus graves. C’est rigolo, certes, mais c’est profond. Fils du peuple et petit-fils du lumpenprolétariat Chino Prigent ressuscite les ombres de la mémoire comme il le fit si brillamment dans Demain je meurs pour n’en citer qu’un. Sous couvert d’une théorie de tableaux de l’auteur dans un jardin (tapant du ballon ici, frémissant de peur face à ce qui ne porte pas de nom là) c’est à la mémoire intime autant qu’universelle que le texte s’ouvre, convoquant les morts et les ombres, l’Indochine et l’Algérie, les tranchées de Verdun et la misère de 1910. Comme un Proust qui lorgnerait plus du côté du peuple que de la bourgeoisie, Prigent déterre des jardins familiaux des histoires indicibles. Le repas de Noël dans la maison des grands-parents est un monument littéraire à lui seul : il y a le jardin, comme abandonné, saccagé, les taiseux de la famille autour de la table, la volaille dans le four, l’odeur des choux et deux photos au mur qui disent, vues et déchiffrées par Chino, ce qui relie les tranchées à l’Algérie, la misère à la générosité, les muets à celui qui parle pour eux dans cette langue carnavalesque qui, opposée à celle de la radio (c’est Noël aussi chez les grands d’Europe), matérialise le monde et ceux qui l’habitent au lieu de les effacer. À rebours des photos : « L’image ça rappelle ce qui par elle est représenté. C’est-à-dire qui est là en tant que figuré et pas là puisque par elle absenté = mort. »
À la recherche du temps perdu, Prigent ne maçonne pas les interstices entre les souvenirs. Au contraire, il casse, fracture la langue pour qu’en elle le jour laisse voir ce qui manque et aurait manqué pour toujours si aucun récit n’avait défait l’opacité des clichés. La virtuosité ne serait que prouesse si les formes qu’elle invente n’étaient que décorum. Mais le rire ici est aussi une manière de réparer le passé. De le rendre comique s’il fut tragique ou d’offrir aux humbles une arme que les précieux n’ont pas. Avec Chino, Prigent réécrit La Recherche en mode carnaval : « Bethléem, la grotte : les bergers ont suivi l’étoile ou les cris de la dame en difficile travail et les voilà qui serrent la pogne à Jojo. Les Rois sont en approche. Tu peux les avoir, Coco ? Oui. Une déclaration pour nos micros ? Pas de commentaire, voyez avec mon dromadaire. Le chameau : pas un mot. » Prigent ? Un maestro !

T. G.

Chino au jardin,
Christian Prigent
P.O.L, 347 pages, 21

Proust en carnaval Par Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°225 , juillet 2021.
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