Avant de totalement disparaître des radars littéraires, Jean Proal avait publié une dizaine de volumes, de 1932 à 1956, essentiellement chez Denoël, mais aussi chez Albin Michel, Julliard et Gallimard. L’un d’eux (De sel et de cendre) obtint même un prix de la SGDL en 1953. Une production littéraire qui fut encouragée en son temps par Blaise Cendrars, Jean de La Varende, Jean Giono (qui confiait à son ami : « Rien ne doit vous empêcher d’écrire »), goûtée par quelques peintres, au premier rang desquels figurait Hans Hartung, et qui ne serait peut-être jamais sortie de sa nuit sans l’association des Amis de Jean Proal, fondée en 1998 à Forcalquier et dirigée par Anne-Marie Vidal (www.jeanproal.org).
Publié chez Gallimard en 1956 (dans sa Bibliothèque blanche, qui accueillait des textes destinés aux enfants mais écrits par des écrivains pour adultes, et qui donna entre autres à lire L’Enfant et la rivière d’Henri Bosco), Histoire de Lou est un roman-conte (il fut pour son auteur le livre « de la joie et de la liberté »). Un jour, Lou et son père Pa font leur entrée dans la Vallée perdue, située aux confins du vaste monde, dont l’accès est interdit aux êtres humains, où ne vivent que des animaux, et qui est placée sous la protection de la Dame des Neiges. Tout va être mis en œuvre pour chasser les intrus du royaume, mais Lou, cet enfant au « rire à bruit de perles » qui tient du Petit Prince, sympathise avec tous les animaux sauvages, invariablement doués de parole (à l’instar du feu ou de la forêt), lesquels deviennent bientôt ses amis. Le lecteur découvre alors la véritable identité de la Dame des Neiges…
Publié en 1944, Montagne aux solitudes n’a rien d’un conte (sa tonalité est plutôt tragique). Il s’agit d’un roman constitué des journaux intimes de deux soldats totalement coupés du monde et contraints à la vie commune dans un fort militaire situé au-dessus de la rade de Toulon (de là-haut, le regard peut toiser la côte qui s’étend de La Ciotat jusqu’aux salins d’Hyères). Le premier de ces journaux est celui de Jean Galliera, qui nous dit écrire « pour y voir clair, simplement, comme on allume une lampe pour empêcher les objets familiers de prendre dans la nuit une forme inquiétante ». Il nous y présente son enfance difficile et rude, dans des montagnes où « tout n’est qu’une pâte de silence et de brume, une boue morte », son présent au fort (surtout fait de solitude), puis la rencontre de Claire, « avec ses cheveux maïs et ses yeux de jacinthe sauvage », qu’il imagine épouser un jour. Galliera y évoque aussi son compagnon de réclusion, René Faucherand, peintre à ses heures, dont il dérobera le journal intime lorsqu’il sera persuadé que ce dernier tente de lui ravir sa fiancée (en réalité, elle a été sa maîtresse quelques mois auparavant). Galliera passera ainsi du désir d’amitié à la défiance, puis de la jalousie à la haine (jusqu’au désir d’un meurtre qui n’aura pas lieu).
Tout en retenue, ce récit témoigne d’une belle maîtrise dans la progression dramatique : au fil des pages, ce huis clos involontaire devient franchement irrespirable.
En dehors de la montagne (toile de fond dans le conte, personnage à part entière dans le roman), ces deux rééditions ont peu à voir l’une avec l’autre. Ces deux beaux récits (ils ont tous les deux le mérite de sonner juste) nous permettent surtout de découvrir un écrivain qui use d’une langue naturellement poétique (elle l’est malgré elle semble-t-il, peut-être parce que le réel déborde lui-même de poésie), sans jamais en faire trop, sans jamais forcer le trait et qui, malgré une grande économie de moyens et des phrases souvent simples, parvient à faire vivre des personnages auxquels le lecteur saura s’attacher – en attendant la suite.
Didier Garcia
Histoire de Lou et
Montagne aux solitudes,
Jean Proal
Éditions La Trace, 158 et 186 pages,
20 € chaque volume
Histoire littéraire À hauteur d’homme
juillet 2021 | Le Matricule des Anges n°225
| par
Didier Garcia
Après une éclipse de plusieurs décennies, Jean Proal (1904-1969) retrouve enfin la lumière : réédition de deux de ses romans.
Un livre
À hauteur d’homme
Par
Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°225
, juillet 2021.