Une femme, veuve depuis peu, est la proie de visions : un « garçon », venu du passé, se trouve à ses côtés dans son appartement en désordre, les gestes d’une danse apprise jadis s’introduisent dans ses membres, elle rêve d’une rizière, « tableau vivant » dans lequel ses pieds « s’enfoncent dans une boue fraîche et délicate »… Eli, le fils de l’homme qu’elle a aimé, ne parvient pas à dialoguer avec elle. Seule la mort lui permettra de fuir cette solitude hantée. Alors que Nathacha Appanah réussit, dans cette première partie du roman, à nous faire éprouver cette sorte de folie mélancolique qui bouleverse son héroïne, nous découvrons ensuite comment Vijaya – « le prénom que mon père m’avait donné voulait dire victoire » – fut chassée du paradis de l’enfance et, confrontée à la violence, devint une « fille gâchée ». Des parents aimants, en effet, lui prodiguaient une « vie douce », une « vie sans entraves », les leçons de « bharatanatyam » lui donnaient la sensation d’être une « danseuse céleste » – mais son père ne pensait pas comme il faut penser, le disait bien trop fort, et on le fera taire. Devenue orpheline, elle devra apprendre, comme une leçon, cette formule réitérée : « Rien ne t’appartient ». Il s’agit bien, en effet, d’un roman de la perte, de la dépossession – et les passages les plus réussis sont ceux qui décrivent la prise de conscience progressive de cette jeune fille que l’enfance avait peut-être dangereusement préservée et qui doit subir des épreuves multiples – jusqu’à ce tsunami qui emportera son unique amie. L’écriture précise de Nathacha Appanah, à la fois sensuelle et sensible, permet de suivre pas à pas cet apprentissage – qui, à la fin, conduit Vijaya vers l’amour d’Emmanuel, le médecin qui la sauve. Pour lui, elle s’invente : « Je raconte une vie fabriquée qui n’est pas un tissu de mensonges mais celle dont j’ai besoin pour survivre, celle qui ne m’entraînera pas à chaque moment vers le fond ».
Thierry Cecille
Rien ne t’appartient, de Nathacha Appanah
Gallimard, 160 pages, 16,90 €
Domaine français Rien ne t’appartient
septembre 2021 | Le Matricule des Anges n°226
| par
Thierry Cecille
Un livre
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°226
, septembre 2021.