Un livre

Le Mode avion

de Laurent Nunez

Editions Actes Sud

C’est une fiction joueuse portée par un évident bonheur narratif, que nous propose Laurent Nunez. Parodique, ironique, elle conte l’épopée tragicomique de deux jeunes professeurs de grammaire qui vont tout quitter, à commencer par leurs étudiants de la Sorbonne, pour s’installer, en 1937, dans un petit village des Alpes-Maritimes afin d’y vivre sans contraintes, sans rien qui puisse les empêcher de réfléchir autant qu’ils le désireront. Une existence que l’on qualifierait aujourd’hui de vie en « mode avion ».
Un renoncement au monde pour en découdre avec le langage, découvrir une nouvelle théorie, quelque chose qui les rendrait célèbres. Ce langage, ils le voient, le scrutent, l’écoutent parler, espérant une illumination. Un langage qui, dans sa matérialité, et en sa qualité d’inlassable pourvoyeur de questions, est celui-là même qui fait écrire Laurent Nunez depuis ses débuts. Et le récit des tribulations de nos deux linguistes rêvant de trouvailles semble alors une opération de mise à distance de ce qui, chez lui, a toujours statut de préoccupations et de souci. En choisissant l’humour comme mode d’énonciation privilégié, et en optant pour la charge ironique, il s’en amuse tout en désacralisant le caractère de solennité ordinairement attaché à la recherche. Et d’inventer, par personnage interposé, « la demande de précision chrono-linguistique » – qui fait dire « une heure et demie » ou « 13h30 » mais jamais « Treize heures et demie » – ou « l’appel d’air linguistico-sexuel » qui veut que deux mots très précis et accouplés alors qu’ils ne peuvent l’être, comme dans « Je vais t’encadrer le croissant » ou « t’apaiser le lampadaire », sont toujours compris comme la description métaphorique de l’accouplement. Un roman où le désir, la langue et la grammaire s’amusent aux dépens des protagonistes.

Richard Blin

Le Mode avion, de Laurent Nunez
Actes Sud, 224 pages, 17 €