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Domaine français Cœur battant

septembre 2021 | Le Matricule des Anges n°226 | par Flora Moricet

D’une rupture amoureuse, Louise Chennevière construit un mausolée de mots. Pour reprendre corps et parler pour toutes les femmes abandonnées. Rencontre.

On la retrouve dissimulée derrière de larges lunettes de soleil, attablée à la terrasse d’un joli rade de Ménil-montant, un quartier pari- sien qu’elle a longtemps fréquenté. Louise Chennevière appréhende sa première rentrée littéraire et la sortie de son deuxième roman aux éditions P.O.L. « Ça me fait marrer d’écrire un roman d’amour », lance-t-elle d’une voix légèrement enrouée par un week-end que l’on devine festif, en se demandant si la littérature n’est jamais autre chose qu’une lettre d’amour.
Par son adresse à l’être aimé en vue de le « liquider », Mausolée peut détonner dans le paysage littéraire contemporain. Un certain lyrisme menace chaque page mais reste contenu. La narratrice parle et écrit à rebours, après avoir été quittée, dans ce temps de l’effondrement où l’on se retrouve « abandonnée comme une enfant en plein milieu de la nuit », dit-elle à toute vitesse. En une seule nuit, son héroïne dont on ne connaît ni le nom ni l’origine sociale – elle habite une grande ville et pratique les bars – tente de réduire l’écart entre sa propre douleur, les mots pour la dire et l’autre, l’amant qui est avec une autre, part, revient… Après trop de silences et de dénégations, la narratrice venge celle qui s’est tue, reprend posses- sion de son récit : « et ma langue renvoyée à la place qui avait toujours été, la sienne, dans ce lieu intime, nocturne, secret, condamnée à parler cette voix, avec laquelle j’avais fait corps, cette voix qui n’était pas la mienne, ces mots que les siècles, les livres avaient mis dans ma bouche, ces mots qu’avaient prononcés, dans le silence de ces journaux intimes, infâmes, indignes, tant de femmes avant moi ».
Continue-t-elle « d’apprendre à être féministe » avec son nouveau roman, comme elle l’avait affirmé à propos du précédent, Comme la chienne ? La réponse est catégorique, absolument : « pour moi, cette souffrance amoureuse est toujours politique ». Ce qu’elle désire, c’est interro- ger la violence des relations de genre en littérature et en amour et inverser les rapports de force entre héroïnes et auteur (mâle). Une phrase du journal de Sylvia Plath qu’elle aurait bien mise en exergue de son livre : « Si j’étais un homme, je pourrais en faire un roman. Étant une femme, pourquoi ne puis-je rien faire d’autre que pleurer et être pétrifiée, pleurer et être pétrifiée ». Plongée depuis l’écriture de Mausolée dans les journaux d’Alejandra Pizarnik, Béatrice Douvre et tous les « grands romans d’amour », de L’Astragale à Anna Karénine en passant par Madame Bovary, l’autrice de 28 ans résume : « les héroïnes ou autrices finissent toujours abandonnées, suicidées, sous des rails », « mais dans cette histoire, c’est elle qui écrit et c’est lui le personnage ! »
À la mode dans les milieux militants qu’elle fréquente, les discours sur les relations libres, comme la théorie dont elle est tout imprégnée, « l’emmerdent », même si elle estime qu’il faut sans doute « en passer par là ». Tandis que la révolution sexuelle de sa génération souffrirait « encore de tant d’inégalités », son féminisme est nourri de remises en questions et d’incertitudes : « je ne suis pas figée dans mes positions, déclare-t-elle, mais c’est ce qui fait que tu restes en vie, non ? » On la sent soudainement son- geuse : « non, l’amour ce n’est pas une toute petite chose », avant d’évoquer les femmes mortes sous les coups de leur conjoint, « par amour » a-t-on dit si longtemps. Sa fraîcheur, son enthousiasme mêlés à une colère diffuse l’emportent sur sa clarté, il est parfois difficile de la suivre, on aimerait qu’elle finisse plus souvent ses phrases, pour comprendre par exemple en quoi elle a « un problème » avec Passion simple d’Annie Ernaux, ce très court texte fait lui aussi de descriptions cliniques du sentiment amoureux.
Actuellement, elle travaille à un livre sur Paris pendant le confinement. Sa ville natale dont elle est très sensible aux changements, à ses lieux qui meurent et qu’elle a préféré quitter pour ne pas « devenir une écrivaine parisienne ». Après avoir sillonné plusieurs mois la France, elle s’est installée à Orange où elle travaille, pendant l’été, comme serveuse dans le PMU « le plus pourri de tout le Vaucluse ». Sur son rapport à l’écriture et à l’argent, elle n’a pas non plus la langue dans sa poche. Dans un article brûlant intitulé « La littérature est morte, vive la littérature ! », publié ce même printemps 2020 sur la revue en ligne Lundimatin, elle réagissait à une tribune du Monde, signée par des éditeurs et écrivains, pour « sauver » le livre pendant la crise sani-taire. Louise Chennevière proposait une tout autre vision de la littérature et de celles et ceux qui écrivent. Une activité et un engagement loin de se réduire à un métier : « choisir d’écrire, c’est refuser de travailler », ne rien attendre des autres, encore moins du marché.

Flora Moricet

Mausolée, de Louise Chennevière
P.O.L, 160 pages, 15

Cœur battant Par Flora Moricet
Le Matricule des Anges n°226 , septembre 2021.
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