C’est un récit. Comme les auteurs de théâtre en écrivent de plus en plus aujourd’hui. Certains édi-teurs allant jusqu’à leur consacrer des collections particulières. Un récit donc. À la première personne. L’auteur, Stéphane Bonnard lui-même, commence très simplement : « J’ai un projet ». Un projet dont il nous raconte les premiers instants, et dont il est assez content : l’histoire d’une concession automobile, avec ses clients et leurs différents désirs, une métaphore, en quelque sorte, du monde contemporain. Et l’auteur écrit, sous sa plume les clients arrivent les uns après les autres, mais le concessionnaire lui-même est en retard. Et l’auteur attend patiemment son arrivée, meublant ce temps mort par quelques descriptions des lieux. Mais le concessionnaire ne viendra pas, car soudain, c’est un autre personnage qui arrive, « la tête passée entre les quatre lignes qui le décrivaient ». Un personnage qui lui signifie nettement l’impossibilité de son projet : « ton histoire, elle tient pas le coup, poète, elle est pas à la hauteur, c’est juste une posture, pas plus, vouée à l’échec. » À partir de là, d’autres images apparaissent, d’autres personnages : un groupe d’enfants marchant dans une immense plaine de boue rouge et envahissant la concession, une ville post-apocalyptique détruite en partie par une guerre et dont quelques rares habitants tentent de survivre.
L’auteur sent bien que quelque chose lui échappe, que son projet d’écriture n’existe plus, et que face à ces images surgies de son imaginaire et préfigurant une destruction du monde annoncée, il préférerait s’en tenir au réel. Et pour cela, décrire minutieusement la réalité et les objets qui l’entourent : les objets du quotidien, les vacances avec sa femme et sa fille au bord de la mer. « Je note / Je vérifie / Je m’en tiens au réel / A ce que je crois être le réel. » Mais quel est-il ce réel ? Comment résiste-t-il aux images envahissantes ? Ce squat qu’il visite et dans lequel il revient régulièrement est-il un fantasme, une solution possible, un avenir souhaitable ou simplement, l’un devenant l’autre, une réalité qu’il refusait de voir. Il y a quelque chose de troublant, et que l’auteur a parfaitement réussi à transcrire, c’est qu’à l’instar de son personnage, nous ne savons plus, au bout d’un moment, ce qui est vraiment de la réalité, une dystopie née dans le cerveau de l’auteur ou encore un fait divers lu quelque part. L’écriture procède par ruptures, changements de points de vue, bascules. Et progressivement, il semble au personnage, et au lecteur donc, que quelque chose peut s’imaginer dans ce lieu désolé.
À la fin du livre, une note raconte brièvement l’histoire de l’ancien collège Maurice-Scève, à Lyon, désaffecté puis occupé par un collectif de migrants et transformé par eux en un lieu d’accueil et de repos. L’auteur en a fait l’expérience pendant dix-huit mois. Aujourd’hui, le collège a été évacué et ses habitants relogés. Mais « bien sûr, depuis, d’autres sont arrivés, femmes, enfants, hommes. Et l’ouverture de lieux se poursuit. » Finalement, elle est là, la réalité ; présente, mais aussi future. Car c’est peut-être à cet endroit qu’un nouveau monde s’invente, définissant des règles et des modes de vie qui seront plus tard les bases d’une société apaisée. Peut-être…
PGB
Continent
Stéphane Bonnard
Espaces 34, 48 pages, 10 €
Théâtre La possibilité d’un chemin
octobre 2021 | Le Matricule des Anges n°227
| par
Patrick Gay Bellile
Continent, ou comment inventer un récit collectif lorsque l’époque annonce la fin de l’histoire.
Un livre
La possibilité d’un chemin
Par
Patrick Gay Bellile
Le Matricule des Anges n°227
, octobre 2021.