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Domaine français Les entrelacs de Sébastien Berlendis

octobre 2021 | Le Matricule des Anges n°227 | par Jérôme Delclos

L’écrivain construit, avec une remarquable économie de moyens, un subtil et profond récit d’initiation.

Seize lacs et une seule mer

Écrit à la première personne, Seize lacs et une seule mer s’affiche dans les premières pages comme un récit de voyage de Sébastien Berlendis en Allemagne, rendu crédible par l’allusion à un voyage antérieur, en Pennsylvanie où il a en effet photographié des « trailer parks américains ». Mais très vite, la dimension romanesque du récit perce sous le dispositif en trompe-l’œil, au service de ce qu’ailleurs Berlendis revendique comme « écriture à partir de soi » plutôt qu’écriture de soi, dans la ligne de l’« autographie » de Pontalis. Le narrateur, sitôt arrivé à Berlin à l’occasion d’un échange d’appartements avec un ami, déniche « un trésor » dans une brocante : « deux enveloppes à soufflet brun » recelant des lettres, « des images éparpillées en noir et blanc intact, cadrées avec justesse, comme des plans de cinéma », et « deux bobines de film 8 mm ». Commence alors une enquête autour d’« Inna Helm » et sa bisaïeule « Gisele ». Mais ce niveau de l’enquête policière en recouvre d’autres, dans une trame narrative dont un moment, celui de la visite du parc Tiergarten à Berlin où « un labyrinthe de canaux relie une myriade de petits lacs », fournit la métaphore. La recherche autour de Gisele et Inna Helm se déroule d’un lac berlinois à l’autre, dans une ambiance nonchalante et sensuelle. Ce, sur fond du cinéma allemand d’avant-guerre, avec en filigrane le fantôme de la star Brigitte Helm, dont le second prénom était Gisele, et qui joua le double rôle de Maria et du robot dans le Metropolis de Fritz Lang. Le narrateur nage, approche les baigneuses, photographie beaucoup. Tout un petit labyrinthe de rencontres, de souvenirs d’autres lacs – eux en France – et d’une femme, « Louise », canalise entre elles les stations successives que constituent six lacs berlinois, visités selon le parcours d’Inna Helm : « (…) à une seule reprise, elle tourne la tête, le dévoilement de son visage dure à peine une seconde. J’arrête la bande six fois, je note le nom des lacs, je photographie le visage d’Inna et ses poses immobiles ».
Pourquoi, alors, « seize lacs » et non six ? C’est que les dix autres sont des lacs souvenus, ceux connus avec Louise. On imagine une rupture, voire un décès que semble confirmer une référence à Orphée : « Il ne cherchera pas à faire remonter des enfers sa bien-aimée de peur de la voir mourir une deuxième fois ». L’auteur place sur le même plan, comme des aplats en peinture, les situations vécues sur l’un ou l’autre des six lacs (autant de baptêmes pour une renaissance bégayée), les images muettes de la belle et mystérieuse Inna Helm, et les souvenirs de Louise et des dix lacs passés suscités par la série dans le présent des six de Berlin. Si bien que le récit progresse, en tresse, comme le montage d’un travail de deuil mais solaire, léger, disponible à la rencontre de « Leyla », qui va infléchir en douceur la fascination mélancolique du narrateur pour l’image d’Inna qui le ramenait au souvenir de Louise. L’écriture est constamment baignée dans une demi-teinte qui tient tout ensemble à l’ambiance désuète et érotisée des lacs berlinois, à la hantise exercée par l’enquête autour d’Inna et Gisele Helm que magnifient les références au cinéma allemand des années 1910-1930, et à l’hommage mémoriel rendu à Louise, la compagne des lacs d’autrefois. S’il fallait comparer cette fiction avec un récit autobiographique, on pense à L’Amour dans le temps qu’osa Pierre Pachet après la mort de sa femme. Avec ici, au surplus, l’œil du photographe Berlendis qui accroche, dans des paysages d’Allemagne, les traces des deux guerres et celles laissées, en creux, par le mur de Berlin.
Il arrive que le narrateur au bain s’émeuve de la profondeur des eaux sous lui, comme si leur masse invisible emblématisait l’énigme du passé, son opacité mais aussi sa densité sur laquelle se soutenir et avancer, s’éprouver vivre, s’abandonner à un possible. Après la Baltique, la « seule mer » parce que non redoublée dans un souvenir, un ultime lac et une femme ouvriront-ils à un dénouement de l’entrelacs des temps ? C’est presque un conte, ou un roman à clés. Bien que Berlendis avec ce sixième livre reste fidèle au format mince, on fait le pari que son épaisseur littéraire marquera pour son auteur un tournant.

Jérôme Delclos

Seize lacs et une seule mer
Sébastien Berlendis
Actes Sud, 145 pages, 17

Les entrelacs de Sébastien Berlendis Par Jérôme Delclos
Le Matricule des Anges n°227 , octobre 2021.
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