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Égarés, oubliés Poèmes et boutons de manchette

octobre 2021 | Le Matricule des Anges n°227 | par Éric Dussert

Quoique dénigrée par Simone de Beauvoir, la poésie de l’autodidacte Nella Nobili recèle de frappantes beautés.

Toute jeune, alors qu’elle vivait encore à Bologne où elle est née en 1926, Nella Nobili composait déjà de la poésie. Elle était alors ouvrière, autodidacte, fille de maçon et de couturière à la journée. Elle avait commencé à travailler à l’âge de 12 ans et entra deux ans plus tard à l’usine après avoir atteint l’âge légal pour s’éreinter – littéralement –dans une soufflerie de verre, l’un des milieux professionnels les plus rigoureux et les plus nocifs… « Mère – Je veux danser !/ Donne-moi ma robe rouge.// Je veux aller en dansant/ sur les rails du tram/ A travers la ville.// Carillonneur – joue-moi une valse/ Depuis le haut clocher –/ Venez tous sur la place/ Chanter et danser// Nous pleurerons demain. » Libérée de l’usine par la guerre qui en provoque la fermeture, la jeune fille trouve à s’embaucher comme fille de salle dans un hôpital de Bologne. Elle y travaille deux ans puis retourne à l’usine en 1945. Elle commence alors à écrire des poèmes qu’elle parvient à publier dans les journaux de Rome. Trouvant l’énergie d’écrire durant ses pauses et après le travail, elle lit tout autant, dévore l’œuvre de Rilke ou d’Emily Dickinson. L’autodidacte séduit tôt. Un journal de Rome publie un reportage sur la « poétesse-ouvrière ». « Malentendu total, expliquera-t-elle : j’étais devenue du jour au lendemain l’ouvrière-poétesse, j’étais OS (Ouvrière Spécialisée) et je devins OP (Ouvrière Poètesse)… je rejette l’étiquette prolétarienne en tant que poète, tout en étant humainement solidaire de cette époque. »
Installée à Rome en 1949, elle fréquente artistes et écrivains antifascistes parmi lesquels Elsa Morante, Sibilla Aleramo, qui a écrit Une femme (trad. Pierre-Paul Plan, Des Femmes, 2021) ou le peintre Giorgio Morandi (1890-1964) qui tombent sous le charme de ses vers. Elle ne parvient cependant pas à trouver sa place dans la capitale italienne où elle craint d’être exhibée comme la prolétarienne de service. « Tu as laissé comme moi les billes/ Au fond des poches les quelques/ Jouets épars aux quatre coins les livres/ Les beaux livres remplis de promesses/ Bien rangés dans un meuble. Jeune fille/ Aux yeux remplis d’ombre tu es/ Comme moi rentrée un jour à l’usine. »
Elle choisit alors en 1953 de s’installer en France où le bouquiniste Michel Ragon lui sert de contact. Elle devient chef d’une petite entreprise artisanale de fabrication de boutons de manchette et continue d’écrire, passant à la langue française au cours des années 1960. C’est ce recours tardif au français qui explique peut-être le jugement assassin de Simone de Beauvoir en 1975 à propos de ses écrits. Ils seraient maladroits, improvisés… Ce que dénonce la lecture du moindre poème que Nella Nobili publie. Le jugement la blesse cruellement malgré l’admiration d’Henri Thomas, Bernard Noël ou Claire Etcherelli pour le recueil qu’elle publie à compte d’auteur en 1978 chez Caractères La Jeune Fille et l’usine. « Bologne antique ainsi je te quittais/ Chaque matin après avoir touché/ Du bout des doigts tes aubes de nacre rose/ Nacre pour mon adolescence austère/ Trésor que j’emportais jusqu’au seuil/ De l’usine aux lampes électriques/ Allumées pour l’éternité.// Pourtant je t’aimais ville de chair/ De mon enfance car tu étais pour moi/ Merveille et souffrance à la fois// Et je voulais revenir vers toi./ Je marchais doucement au cœur de ma nuit/ Enveloppée de ton manteau de larmes,/ Je marchais pour suivre ta voix/ Qui appelait continûment mon nom.// Mon désir était cela : devenir comme l’air./ Passer dans tes cheveux, construire des anneaux d’argent/ Autour de tes flancs, désaltérer tes lèvres/ Avec ma pure essence.// Mais mon sang court dans les veines de la terre./ Autour de mes poignets j’ai entrelacé des racines de chênes./ Sur mon front dur comme pierre/ Tes larmes sont ma douce couronne d’épines.// Dans cette limite/ Presque à fleur de terre. »
Plus tard, elle compose un essai avec sa compagne Édith Zha, Les Femmes et l’amour homosexuel (Hachette, 1979) qui recueille témoignages, documentation et réflexions qui lui ouvre les portes de la revue Sorcières. Puis, l’année suivante, Douze poèmes de deuil (Paris, Nane Stern) : « Jardins profonds/ de la nuit je plie/ sur divans d’œillets/ pourrissants. Aux cris/ des chats fous aux griffes/ de la peur lancinante/ pitié mes frères morts/ pour moi vivante. »
Nella Nobili se suicide en 1985 à Cachan. Elle a 59 ans. Si ses œuvres n’avaient été déposées à l’IMEC par sa compagne, et ses textes italiens traduits par Marie-José Tramuta, il est probable qu’on ne parlerait plus guère de Nella Nobili, et ce serait difficilement explicable.

Éric Dussert

Poèmes et boutons de manchette Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°227 , octobre 2021.
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