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Domaine français La grande peur dans la montagne

novembre 2021 | Le Matricule des Anges n°228 | par Christine Plantec

Deux sœurs se retrouvent à l‘ombre du glacier de leur enfance, ou comment déployer une dystopie écologique sur fond de gémellité menaçante.

Entre 2015 et 2018, dans sa Trilogie des rives, Emmanuelle Pagano dévidait l’écheveau d’une fiction autobiographique au rythme d’une eau dévalant des plateaux aveyronnais jusqu’aux terres rouges du lac du Salagou dont l’édification d’un barrage en 1969 (année de naissance de l’autrice) avait englouti les vignes de son grand-père. L’ultime volet de cet ensemble romanesque s’achevait par le récit d’une amitié entre deux hommes, deux fils d’une même terre lacustre ; l’un y était demeuré lorsque l’autre vivait son ultime journée à bord d’un sous-marin nucléaire en pleine remontée de l’océan Atlantique.
Après la rivière, le lac, l’océan, c’est l’eau, toujours et encore qu’on retrouve dans Hors gel, une eau retenue, eau de fonte accumulée dans la concavité silencieuse d’un glacier dont les parois lumineuses menacent de rompre. Emmanuelle Pagano débaptisée y signe de son patronyme de naissance – Salasc – un récit d’anticipation où des sœurs jumelles se retrouvent après une longue séparation.
Nous sommes en 2056 dans une montagne imaginaire qui s’inspire de la catastrophe de Saint-Gervais-les-Bains de 1892. Un torrent de plusieurs milliers de mètres cubes d’eau s’était déversé sur les pâtures, les estives, la ville thermale en une nuit. Intacte dans les mémoires, cette débâcle s’était transmise « transportant la lave et le fracas dans nos mots jusqu’au milieu de notre siècle. Ce bruit en retard, se rajoutant à la lave, était celui de la peur, celui de la prise de conscience qu’il se passe quelque chose. Il se passe quelque chose d’inimaginable. »
Chez l’écrivaine le paysage n’est pas seulement un cadre qui se remplit d’images ou d’impressions, il est une matière qui foisonne, tout autant que les temporalités qui se succèdent sans se plier à la linéarité chronologique. Si 2056 fait bien sûr écho à 1892, ces deux dates sont elles-mêmes liées à notre époque post-pandémique, période à laquelle Clémence sœur de la narratrice, disparaît, créant dans le récit une béance temporelle semblable à l’excavation glacière menaçante. « Si Clémence mourait, elle me hanterait autant qu’elle m’a hantée pendant ces trente années sans elle », déclare Lucie. Sa sœur disparue est solaire, volcanique, border line, elle rend la vie invivable. À l’inverse de Clémence, Lucie est celle qui a peur, qui attend. Pour autant elle est aussi celle qui raconte et brave la menace du glacier. Au retour de Clémence, malgré les douleurs passées et l’emprise subie, tout redevient possible : « J’avais l’impression de laver la peur, de laver la ville, de laver l’attente aussi, toutes ces années d’attente, les années d’angoisse et de veille permanente » s’étonne Lucie. Illusion nécessaire mais provisoire.
Placés sous haute surveillance, hommes, bêtes et nature sont sous contrôle, verdissement de l’économie libérale oblige, l’ultra-technologie et des lois liberticides préservent la nature de la destruction. Pourtant « le paysage nous a échappé, comme si la terre nous glissait entre les mains, comme si nous n’habitions plus la pente ». La stridence répétée d’une alarme rythme la vie des habitants. Entre partir ou rester que faire ? Pour aller où ? Et échapper à quoi ? À la catastrophe naturelle, à la surveillance généralisée, à la violence intérieure qui dévore et se répand ? Entre état de choc et état limite, le futur sera dystopique. « Et tant pis pour le danger. Peut-être même que ce danger, avec son cœur d’eau et de glace dont tout le monde, ici, croit entendre (…) peut-être que ce danger rend cette emprise plus forte encore. Peut-être que nous voulons avoir peur. Peut-être que nous aimons avoir peur ».
Malgré quelques pages où la documentation prend parfois le pas sur l’écriture, on est emporté par Hors gel. Sa voix, son rythme spiralé, ses images.

Christine Plantec

Hors gel
Emmanuelle Salasc
P.O.L, 410 pages, 21

La grande peur dans la montagne Par Christine Plantec
Le Matricule des Anges n°228 , novembre 2021.
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