Tout a disparu ou est en train de disparaître sur une terre devenue infertile, sauf la part la plus monstrueuse de l’humanité. Après Crépuscules, son premier roman publié en France, l’écrivain québécois ouvre une nuit immense dans une dystopie radicale et poétique toujours aussi troublante. Une communauté d’hommes et de femmes vit sous la pire partie du ciel, dans une sorte de camp dont les images sidérantes appartiennent à l’Histoire tragique du XXe siècle et d’aujourd’hui. Quand ils ne sont pas dans des wagons ou devant un feu, les hommes travaillent à creuser des fosses. Alors qu’aucune guerre n’est nommée, le petit groupe est sous la surveillance des « sergents », de « ceux qui rôdent », « des hommes au visage pareil à celui des bêtes » et vit sous la constante menace de se faire tuer. Les hommes sont armés de machettes, les femmes souvent violées, les corps jetés au bûcher et l’enfant, s’il survit, peine à trouver un nom. Le petit, le « minuscule » sait qu’il va grandir, mais il sera lui aussi forcé de creuser des lieux « où allonger leurs corps, offrir un repos qu’une fatigue immense avait rendu nécessaire ». On sait qu’il a été question d’un exil, depuis lequel « les hommes ont vu le mur couper le ciel en deux ». Derrière ce mur, chacun des personnages a connu ou imagine un monde avec des couleurs et des arbres, où l’on ne se tuerait pas. Seuls les rêves font face au désœuvrement total, révélant la beauté de peintures rupestres et d’anciennes images du temps d’avant, lorsque « l’homme sans mains avait ses mains ».
Dans cet univers désaffecté et bientôt apocalyptique, traversé par différentes périodes de l’Histoire, Joël Casséus construit une langue inédite dont le feu crépite à chaque page. Éclatante comme une toile saturée de peinture noire.
Flora Moricet
Demi-ciel
Joël Casséus
Le Tripode, 176 pages, 16 €
Domaine français Demi-ciel
février 2022 | Le Matricule des Anges n°230
| par
Flora Moricet
Un livre
Par
Flora Moricet
Le Matricule des Anges n°230
, février 2022.