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Domaine français Tableau vivant

février 2022 | Le Matricule des Anges n°230 | par Richard Blin

Dans son nouvel opus, qui dit à la fois la perte et la restitution, Jean-Paul Goux prouve que les seuls plaisirs littéraires sont des plaisirs de la langue.

Roman tout entier porté par des voix dont l’oralité ne se confond jamais avec le parlé, Tableau d’hiver vibre d’un usage voluptueux de la langue et relève de ce pur plaisir du roman qui n’a rien à voir avec la littérature d’agrément ou ce que Flaubert appelait « l’art joujou », celui qui « cherche à distraire comme les cartes, ou à émouvoir comme la cour d’assises ». Il est de ces romans qu’on ne lit pas pour suivre les intrigues d’un récit, mais pour qu’il nous transporte par une certaine façon de dire. Un roman qui installe le lecteur à la place exacte où il doit être pour entendre ce qui est prononcé.
Tableau d’hiver s’écrit à partir d’une expérience destructrice, la mort de la compagne de Thibaud, le narrateur. Elle s’appelait Claire, était une artiste qui dessinait des arbres et des nuages depuis la fenêtre de leur appartement parisien mais surtout depuis sa maison Au milieu des bois. Une maison dont elle avait hérité, une sorte de fort posé en plein bois, où ils séjournaient l’été et où elle venait travailler seule l’hiver sachant qu’elle trouverait dans les ciels de cette saison ce que ne pouvaient lui offrir ceux de la ville. Une maison dans laquelle Thibaud est venu s’installer pour réapprendre à vivre et à « habiter le temps ».
Au terme de trois mois passés « dans le rien », son désir de durer renaît, et avec lui le désir d’écrire, de s’adresser à. À ses amis d’abord – « Vous raconter ce que je ne peux dire qu’à vous, c’est bien mon seul plaisir et je m’adresse à vous comme si vous m’écoutiez sans avoir à me répondre. » À sa chère disparue ensuite. Il leur raconte ce qu’ils verraient en arrivant pour la première fois dans cette maison, « l’émerveillement d’entrer dans la clairière creusée au milieu des bois », son installation dans une dépendance, puis la façon dont il a rouvert la maison « parce qu’elle saurait m’aider à m’inventer une vie encore vivante ». Il leur explique ce que l’on découvre « une fois rabattus les volets », ce qu’exige « le contraignant bonheur d’une maison comme celle-là », le ménage qu’il lui a fallu faire. Car c’est par étapes qu’il apprend à habiter cette maison. Jusqu’à pouvoir rouvrir l’atelier de Claire et s’apercevoir qu’il ignorait tout des moments où elle était au travail. « Je n’ai pu m’empêcher de me demander par quelle nécessité tout ce qui concernait vos travaux de dessinatrice avait dû et toujours dû, pour vous, être gardé secret, et secret même pour moi. »
Découvrant des empilements d’esquisses et surtout des dizaines d’admirables dessins « jamais montrés, jamais exposés », il comprend, toujours en s’adressant à Claire, pourquoi il avait tellement tardé à ouvrir son atelier. « Ouvrir votre atelier dans votre maison, c’était voir en face la réalité de ce qu’il me reste à faire sans tarder, avant de disparaître comme vous avez disparu. » Et de s’atteler à trouver le moyen de sauver l’œuvre et la maison de celle qu’il aimait « au-delà de sa mort », en faisant appel à celui pour qui il avait été un intercesseur et un éveilleur, c’est-à-dire « celui qui vous permet d’avoir accès à ce qui en vous peut devenir possible dès lors que vous y êtes attentif, que vous apprenez à vous y consacrer ». Et de leur écrire, à cet ami et à sa compagne, afin de leur exposer son projet de garder vivants les lieux et l’œuvre de Claire.
Tableau d’hiver est un roman plein de langue, qui fait affleurer par l’écriture les liens qui unissent à un lieu, à un paysage et rendent la vie, malgré tout, accueillante et désirable. Les mettre en voix, ces liens, c’est métamorphoser leur puissance captatrice en beauté de langue, un peu à la façon dont Claire, dans ses dessins, rendait merveilleusement sensible la matière insaisissable des nuages et des ciels. C’est enchevêtrer les temps, les faire coexister. Et ce, en donnant voix à une parole intérieure tout agitée de pensées, de sentiments, d’émotions. Parole au mouvement et à l’ampleur ondoyante, soumise qu’elle est à la loi d’une phrase qui doit sa tension à l’énergie motrice de la syntaxe, à sa capacité à développer des liaisons, aux dépens parfois de la transparence mais au bénéfice d’une voix qui lie tous les flux. Des phrases qui ont de la surface et du volume, sont façonnées comme ces paysages que l’on découvre lentement au fil d’une promenade. En transférant à la phrase les fonctions dévolues à la narration, et en maîtrisant admirablement sa coulée sonore, Jean-Paul Goux fait danser la langue, nous captive et nous capture. Du très grand art.

Richard Blin

Tableau d’hiver
Jean-Paul Goux
Champ Vallon, 232 pages, 19

Tableau vivant Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°230 , février 2022.
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