Pour décrire ce premier roman de Laurine Thizy, ces maisons vides, dedans, dehors, ces intérieurs autres, expurgés de meubles ou de souvenirs, de vie, de sens, le mot délicatesse s’impose. Et avec elle, l’élégance, la pudeur, la retenue. Tout ceci, pour inventer sur un mode intime et grave, le portrait d’une jeune fille en transition et le récit d’un drame.
Laurine Thizy apprivoise sa Gabrielle en naviguant entre l’immédiat, le passé, et des projections fugaces vers un avenir incertain. C’est que le fil est fragile, qui tient sa silhouette longiligne modelée par la gymnastique, entravée par ce souffle où se glissent chaque jour un peu plus de ces araignées qu’elle crache, rejette mais qui insistent, reviennent, promptes et besogneuses, à lui souder les lèvres, l’enfermer en dedans. Laurine Thirzy sème ses indices, complique le tableau, s’applique à chaque détail. La naissance de Gabrielle, ses inattendus ; son rapport distant-distrait à ses parents ; sa relation fusionnelle à l’arrière-grand-mère Maria ; son amour pour son petit frère ; son lien au religieux, tout particulièrement à cette Vierge dont elle attend signes et paroles – et qui se tait ; son intransigeance, son exigence, tout le temps. Très vite, on ne croit plus au simple portrait d’une adolescente entre deux eaux. Il y a plus ici, et autre chose, et alors le récit nous ramène à la famille, aux liens des uns aux autres, aux incompréhensions, aux silences, aux rancœurs : à l’ordinaire. À aller et venir, on sent bien qu’elle nous cache quelque chose Gabrielle, et qu’il faudrait l’aider. Mais puisque ceux qui s’y essaient échouent, alors, on se contente d’accompagner, comme ces deux clowns, dans leur tournée auprès des enfants d’hôpital, à attraper leurs douleurs prêtes à rire, leurs aspirations à oublier, s’oublier, s’évader… Tout en délicatesse. Jusqu’à ce que face au mur des silences, des abandons, du chagrin, Laurine Thizy se décide à dénouer les fils et laisser s’échapper ses araignées.
Julie Coutu
Les Maisons vides
Laurine Thizy
L’Olivier, 272 pages, 18 €
Domaine français Derrière les toiles
février 2022 | Le Matricule des Anges n°230
| par
Julie Coutu
Un livre
Derrière les toiles
Par
Julie Coutu
Le Matricule des Anges n°230
, février 2022.